Les Chroniques de Livaï ~ Tome 1 [+13]

IL PLEUT DES MORTS(avril 832)Livaï

Je sors de moins en moins. Je ne vole que lorsque j'ai vraiment plus un sou. L'odeur dehors est horrible et j'ai beau essayer de semer des feuilles de thé un peu partout dans la planque, ça la fait pas partir.

Ouais, la boutique vend de nouveau du thé noir. Un peu moins cher que d'habitude, mais ça reste un plaisir coupable que je me garde. Ca masque bien le goût de l'eau. Mais j'ai pas assez de fric pour acheter de la bouffe ici, je préfère me payer un ragoût ou une soupe de temps en temps au troquet du coin, c'est plus rentable. Et puis, j'ai toujours aucun moyen de conserver la nourriture.

Je mange pas tous les jours mais je me sens pas particulièrement faible. Mon corps s'y habitue. Je continue à faire des exercices comme Kenny m'a appris, comme ça je reste à peu près en forme. Je dors peu aussi, pas tellement à cause des cauchemars mais plutôt parce qu'un connard a cassé ma porte y a pas longtemps, du coup la planque est plus très sûre. J'ai essayé de la réparer mais il me manque des outils pour ça ; alors je la pose juste devant l'ouverture, en espérant qu'on y voit que du feu. Je me sers du plancher pour cacher ce que je possède de valeur, notamment le fric. J'ai réussi à rechoper un livre, alors j'arrive à m'occuper la nuit.

L'autre jour, je suis passé devant une nouvelle boutique qui vend des produits hors de prix, dont des lames de rasoir. Je me suis tâté la nuque et j'ai remarqué que mes cheveux avaient repoussés depuis le dernier rasage... En général, je me débrouille avec mon couteau pour les couper - j'ai trouvé une pierre parfaite pour l'aiguiser - mais pour les raser derrière, c'est pas idéal. Je préfère les avoir assez courts pour pas attraper de poux. Je les ai pas payées, c'est tellement petit que j'ai eu aucun problème pour en voler deux.

Pendant que je raccourcis tout ça, je me demande si je vais avoir à me raser le visage aussi, un de ces jours. Les hommes adultes ont parfois des poils sur la tronche... J'espère pas, je trouve ça moche. Ca doit pas être agréable. Voilà, je me sens mieux sans toutes ces mèches qui me chatouillent. Comme chaque matin, je prends mon seau et je le descends dans la cachette ; y a encore celui de Betti... A chaque fois, je me demande s'il a disparu, si elle est venue le chercher. Mais non, il reste là, et des champignons ont même commencé à pousser dessus...

Je marche dans la petite rue qui relie la cachette au centre-ville, et là, je tombe sur un macchabée. Ce genre de truc a arrêté de me faire peur depuis longtemps. Je passe au large en faisant semblant de rien voir, puis je m'approche en espérant qu'il lui reste quelque chose à voler. Mais je vois tout de suite qu'il a un truc qui cloche. Au-delà des vers qui lui bouffent le ventre, y a autre chose de vraiment bizarre ; comme des grosses cloques jaunes sur ses mains et sa gueule... Elles coulent et ça sent mauvais... Je m'approche pas plus, et je fronce le nez à cause de l'odeur. Pouah, il lui est arrivé quoi à celui-là ? Je sais qu'on peut choper des tas de saloperies dans les bas-fonds, mais ça c'est nouveau. Je mets ma main devant mon nez et je recule dans la ruelle, loin du cadavre. Pas trop envie de lui faire les poches, à celui-là.

Je me souviens d'avoir entendu des gens au bar parler d'une maladie à la surface, qui fait crever en quelques jours. J'ai pas trop fait attention, du coup je sais pas vraiment à quoi ça ressemble, mais ça, c'est sûr, ça ressemble à rien de ce que j'ai déjà vu. Peut-être une pute qui lui a refilé ça. Quoiqu'il en soit, dans l'état qu'il est, j'y touche pas.

La vue de cette horreur me donne la gerbe et je dégobille dans un coin le peu que j'ai bouffé la veille. Bah, de toute façon, ça m'a coupé l'appétit... Je vais jeûner aujourd'hui, ça fera des économies.