LES MARCHANDS D'HOMMES(octobre 836)Livaï

568 80 3
                                    

J'ai fait au moins une dizaine de poches aujourd'hui, j'ai pu me payer une bonne soupe

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.

J'ai fait au moins une dizaine de poches aujourd'hui, j'ai pu me payer une bonne soupe.

Assis bien confortablement sur une des banquettes à l'arrière, j'observe les clients qui entrent et sortent. la plupart viennent juste prendre un verre ou discuter le bout de gras avec le gérant, un grand costaud qui tient le bar avec sa femme. Il lui arrive de faire des bras-de-fer de temps en temps avec des habitués et dans ces cas-là, ça gueule pendant plusieurs minutes.

Il gagne toujours, faut dire qu'avec ses bras épais comme des jambons, il a pas de mal. J'en ai pas des comme ça, moi. Et je pense que j'en aurais jamais. Pourtant, je fais mes exercices tous les jours et je me sens parfaitement en forme ; comme si mon corps avait atteint sa pleine croissance. Ca m'empêche pas de continuer à me muscler. Mais je me dis que j'en arriverais jamais à son stade ; ça doit pas être dans ma nature, c'est tout.

Kenny n'était pas si musclé après tout... Pourtant je suis persuadé qu'il aurait mis ce type à terre s'il l'avait voulu. Moi aussi, je pourrais, peut-être. Mais, les bagarres gratuites, ça me dit rien du tout. Et puis, j'ai à faire.

Je me dirige vers le comptoir pour payer et la bonne femme du patron outrageusement maquillée encaisse mon argent ; au moment de tourner la tête, du coin de l'oeil, je vois une silhouette traverser la rue, par-dessus la porte à battant. Elle marche très lentement, d'un pas assuré et... elle porte un grand chapeau.

Je cligne des yeux, et elle a disparu.

Se pourrait-il que...

Je sors en courant et je regarde en direction du nord, par là où la silhouette a enfilé la rue. Je distingue le grand chapeau qui se balance d'un côté et de l'autre. Je me glisse dans la foule, qui est très dense à cette heure, à tel point que je dois jouer des coudes et me faufiler pour me rapprocher. De la distance où je me trouve, je peux détailler la hauteur de l'homme, sa corpulence longiligne, sa façon nonchalante de marcher, les mains dans les poches, son long manteau - ouais, c'est le même j'en suis sûr - et son chapeau que je connais bien pour l'avoir souvent porté quand il voulait bien...

Kenny ? Est-ce que c'est toi ?

Je sens mon coeur cogner contre ma poitrine a un rythme dingue. J'en suis pas tout à fait sûr... mais quelque chose me dit que j'ai raison. Y en a pas deux au monde, comme Kenny. Mon instinct m'a rarement trahi. Si seulement je pouvais voir son visage... Mais la foule est trop dense dans ce quartier pour que je puisse le devancer, même en empruntant des rues parallèles.

Je décide alors de le suivre pour voir où il va. Et puis, si ça se trouve... il serait pas très content de me voir... Il a l'air pressé...

Il m'emmène vers le quartier nord, là où je sais bien que se trament des trucs pas très nets mais j'y ai jamais mis les pieds. Il y a des maisons de jeux et des paris sur des combats illégaux, je crois. Est-ce qu'il fricote avec ces types ? Ca aurait pu être son genre... Je me fonds dans l'ombre comme je sais si bien le faire et j'observe ce qui se passe.

Il arrive aux abords d'une maison qui semble à première vue un peu délabrée, comme si ceux qui avaient voulu la reconstruire avaient tout laissé tomber au dernier moment. Mais il y a du monde, là-dedans et autour. Garée devant, une grande charrette avec un chargement recouvert d'une bâche fait l'objet d'une vive discussion. Des sentinelles semblent faire le guet en patrouillant dans les environs, il faut pas que je traîne ici si je veux pas d'ennui. Je pourrais me débarrasser de la plupart d'entre elles, mais je sais pas s'ils ont des armes à feu... Normalement, c'est interdit dans les bas-fonds, mais avec la milice Rovoff, on sait plus trop ce qui circule... Je peux me défendre contre un couteau, mais un fusil... Les sentinelles ont pas l'air dans porter, mais on sait jamais. Je me fais encore plus petit que je suis et je tends l'oreille pour entendre ce qui se dit.

Je partirais pas tant que je serais pas sûr si c'est Kenny ou pas. Il lui suffirait de se tourner juste un peu... Mais je ne vois encore que son dos.

"Kenny" va parler à un autre type qui soulève un coin de la bâche pour découvrir ce qu'il y a dessous. Je tends le cou pour mieux voir... On dirait une grande cage, avec... ouais, j'ai pas la berlue, y a quelqu'un dedans. J'ai pas bien vu mais j'en suis presque sûr.

C'est donc vrai qu'il y a un trafic d'humains dans les bas-fonds.

Non. Je peux pas croire que Kenny trempe là-dedans... Ca, par contre, c'est pas son genre, c'est trop pervers...

Au moment où je formule cette pensée à voix basse, je sens un objet dur me rentrer dans les omoplates. Je fais le geste de me retourner mais une voix d'homme m'intime de rester comme je suis ; et de lever les mains en l'air. Je ravale ma fierté et j'obéis, car je suis quasiment sûr qu'on me menace avec le canon d'un fusil. J'ai dû me faire repérer. Une main baladeuse s'égare sur moi et trouve mon couteau ; j'entends la lame voler dans les airs loin de moi. Merde.

La voix m'ordonne d'avancer et je me retrouve en pleine lumière. Maintenant que je suis vraiment dans la place, mon instinct de survie me fait faire le compte des forces en présence : cinq hommes, si je compte les deux qui patrouillent dans le coin et qui vont sans doute se ramener quand je tenterai de me faire la malle. Un fusil, derrière moi, les autres ont des couteaux. Et puis il y a "Kenny".

Retourne-toi, bordel, retourne-toi, c'est moi, Livaï !

Les visages des trois hommes près de la charrette se tournent alors vers moi quand mon ravisseur les interpelle. Et là, je vois à quel point je me suis trompé. A quel point j'ai été con de me laisser aller à mes émotions...

Cet homme n'est pas Kenny. Il lui ressemble bien un peu, mais c'est pas lui. Faut vite que je trouve un moyen de me tirer de ce guêpier.


Les Chroniques de Livaï ~ Tome 1 [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant