IL PLEUT DES MORTS(juin 832)Livaï

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J'ai réussi à choper qu'un petit bout de pain, encore

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J'ai réussi à choper qu'un petit bout de pain, encore.

Quand la garnison distribue ces choses censées être comestibles, tout le monde est dehors, en bas de l'escalier, à lever les bras pour tenter d'en attraper le plus possible. J'ai l'impression d'être un goret à qui on jette du grain. C'est très désagréable comme sensation... Et comme je suis pas grand, je suis toujours le dernier servi.

Je bois une bonne rasade à la fontaine - comme tout le monde - et je retourne à la planque. Voler ne sert à rien en ce moment, y a plus grand monde dans les rues. On croirait une ville fantôme à certaines heures... Et les fantômes, ce sont les corps des malades qui pourrissent dans les rues, de plus en plus nombreux. Je sors jamais sans mon foulard et je reste bien à l'écart des macchabées, comme la garnison a dit. Y jeter un simple coup d'oeil me faisait vomir avant, mais maintenant je m'y habitude. Je me dis juste "oh, un de plus", et je passe mon chemin.

Les rues et les maisons sont encore recouvertes d'une espèce de poudre blanche qu'il faut éviter de respirer. Il paraît que ça stoppe la propagation des maladies, mais c'est pas très bon pour la santé non plus. Je retiens ma respiration autant que je peux chaque fois qu'il y en a une grande quantité sur ma route.

Je surveille tout le temps si j'ai pas moi aussi de ces horribles pustules qui font mourir. Pour l'instant, ça va, mais il paraît que ça peut venir très vite. Je continue de me laver régulièrement, pour pas me sentir couvert de toute cette saleté à l'extérieur, et je bute tous les rats qui ont le malheur de croiser mon chemin. J'ai toujours su que ces bestioles étaient pas nettes. A un moment, le sang de l'un d'entre eux m'a un peu éclaboussé et j'ai eu la trouille. Je suis allé me laver tout de suite des pieds à la tête tellement je voulais pas être contaminé. Mais j'ai presque plus de savon, faut que je ralentisse là-dessus.

Un bout de pain tout dur comme repas, chaque jour... Heureusement que je suis habitué à me contenter de peu. J'imagine ceux qui ont une famille à gérer, ça doit pas être la joie.

La garnison a voulu tous nous compter - ils appellent ça "recenser" -, comme ça, si un médicament efficace est découvert, ils pourront venir nous chercher pour nous le donner. Les ados seuls comme moi sont particulièrement pris en considération. Bizarre, ils ont jamais fait attention à nous, avant. On m'a demandé mon nom, et l'endroit où je vivais. Kenny m'a appris qu'il fallait jamais donner ce genre d'informations, mais si je tombe malade, ça peut être un bon plan. On m'a dit de ne pas quitter l'endroit où je crèche jusqu'à la fin de l'épidémie. La fin ? La fin. Ouais, on en tous envie.

Je suis en train de lire en grignotant un peu mon pain quand j'entends un bruit sourd contre la planque ; non, pas tout à fait sur la planque, mais tout à côté. Je prends mon couteau et je vais voir ce qui se passe. Possible que ce soit un voleur, ou un plumeur, je sais qu'ils crachent pas sur les garçons faute de mieux. Qui que ce soit, il sera bien reçu. Je déplace ma porte cassée de côté et je jette un oeil dans la rue : personne. C'était quoi ce bruit ? V'là que je l'entends encore.

Je sors de chez moi, le foulard sur le nez, et j'entends encore ce choc sec... On dirait que quelque chose est tombé sur un des toits autour. Personne ne vit près d'ici, alors je vais jeter un oeil. Et là, je vois.

Un corps chute et s'écrase sur un toit proche. Emporté par son poids, il roule le long des tuiles et vient finir sur le pavé de ma rue. Comme j'essaie de comprendre ce qui se passe, mes yeux retracent le seul et unique trajet que ce macchabée à pu faire pour arriver là. Tout-là haut, je vois un point de lumière. Une des plaques d'égout est ouverte. Mais c'est pas la seule ; les autres le sont aussi, et voilà que d'autres corps sont balancés par là et vienne s'écraser dans les rues alentours.

J'y crois pas ; ces enfoirés nous envoient leurs morts depuis la surface !

Ils doivent s'être concertés parce que le truc s'est déclenché de partout à la fois. Je vois des cadavres tomber en masse sur les maisons et dans les rues... Bon sang, pas dans la fontaine ! Pourvu que y en ai pas dans la fontaine ! Je cours là-bas comme un dératé, et je constate que je suis pas le seul à avoir remarqué ce qui se passe. Les gens ont tous les yeux levés et maudissent les richards du dessus. Pourquoi ils gardent pas leurs morts, les ordures ?! Ils veulent nous enterrer, c'est sûr ! Que fout la garnison ?! Faut arrêter ça !

Bordel, ils en ont réellement rien à foutre de nous ! On sera les derniers à être sauvés si on trouve un remède à cette saleté de maladie ! Non, ils nous sauverons même pas ! Ils nous laisserons crever ici et ils condamneront les bas-fonds quand on aura tous clamsé ! C'est ça leur plan !

J'ai envie de crier, mais le foulard de maman me rentre dans la bouche. J'ai plus qu'à me mordre les lèvres de colère.


Les Chroniques de Livaï ~ Tome 1 [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant