AU COEUR D'ENJEUX POLITIQUES (février 844) Furlan Church

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Depuis deux jours qu'on se fait un peu la gueule, il va bien falloir qu'on en parle

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Depuis deux jours qu'on se fait un peu la gueule, il va bien falloir qu'on en parle.

Je profite que Livaï en est en train de graisser son harnais - activité qui a le don de le calmer - pour aborder de nouveau l'offre de Rovoff. Il lève un sourcils mais ne me regarde pas directement. Je sais que j'ai son attention, c'est le principal ; tant mieux qu'il ne me regarde pas, comme ça il ne m'intimidera pas.

J'essaie de lui expliquer en quoi ce deal est la chance de notre vie. Tu te rends compte ?! On pourra aller vivre là-haut, enfin ! Et crois-moi qu'Isabel en a très envie aussi ! Sans compter le pognon promis ! Citoyens et riches ! Putain, c'est ce que j'ai toujours voulu...

Oui, le gang, je sais. Et bien figure-toi que j'ai pas arrêté d'y penser depuis ce jour. Livaï s'arrête de frotter une minute et me demande d'en dire plus. Quelle idée j'ai eue ? He he, on s'intéresse ou pas, vieux ! Je vais te dire, c'est pas une si mauvaise chose que tu aies fait comprendre à Rovoff qu'on était pas intéressés. On est au courant de pas mal de choses concernant ces problèmes, ce qui nous donne un certain pouvoir sur lui. Il doit pas craindre qu'on aille baver aux autorités, vu nos activités, on nous croirait pas et on finirait aussi en taule ou pire. Mais on a d'autres possibilités ; qui peuvent rapporter gros.

J'invite Livaï à venir s'asseoir sans sa chambre, à l'abri des oreilles indiscrètes. C'est pas que je veuille cacher ça aux autres mais je préfère que tout ça reste entre nous pour l'instant. Isabel est sortie et ne rentrera sans doute pas tout de suite. Bon, vieux, t'es attentif ? Ecoute bien mon plan.

Rovoff nous a assurés que ce Smith viendrait de lui-même tenter de nous recruter. Il va essayer, oui, et il conviendra de donner le change, de nous défendre un peu pour que ça fasse vrai, tu vois le truc ? Regarde pas en l'air, oui, je suis en train de te dire qu'on va se laisser capturer et intégrer le bataillon. Ravale ta fierté une seconde et écoute le reste. Une fois dans la place, on s'occupe de trouver ces documents, on file sans se faire repérer et on revient ici, l'air de rien. Je sais pas encore très bien comment on fera, mais avec toi, rien n'est impossible !

Ces documents peuvent valoir encore bien plus que le prix que Rovoff nous en demande. Si on arrive à le faire chanter pour lui soutirer un max de blé, et les papiers de citoyen pour tout le gang, on aura marqué tous les points ! Il tentera pas de nous entourlouper ou de nous attaquer, avec toi dans nos rangs. Et si ça tourne vraiment mal, on ira les donner aux autorités, ces papiers, en échange d'une indulgence ou un truc du genre ; il paraît que ça se fait.

Imagine, nous tous, là-haut, menant enfin des vies dignes... La truanderie est pas inscrite dans notre sang, Livaï, on est des humains nous aussi et on aspire à ça. Toi aussi, même si tu aimes pas qu'on te le dise. Avoue que c'est un bon plan, non ?

Livaï se met à faire les cent pas dans la pièce, les mains dans le dos et relève certaines choses qui lui ont paru floues dans mon plan. Je vois qu'il commence à s'y intéresser. Je dois juste l'amener à comprendre l'intérêt sur le long terme. Mais quand il aborde la question des activités du bataillon, je dois bien avouer que je suis un peu pris de court. Il me demande si je réalise que, si ce qu'on dit sur le bataillon d'exploration est vrai, il faudra qu'on risque nos vies à tuer des titans.

Ah, oui, ces satanés titans. Je les avais pas pris en compte dans mon équation.

On fera en sorte de faire les choses très vite et avec un peu de chance, on sera barrés avant la prochaine expédition. Et puis on est bons au harnais, non ? Si ce Smith fait des pieds et des mains pour venir jusqu'ici nous recruter, c'est qu'on doit l'être assez selon les critères du bataillon. Voler est une chose qu'il me répond ; tuer des géants de plusieurs mètres en est une autre.

Je lui souris malicieusement et lui demande si ça l'effraie vraiment. Pas vraiment qu'il me répond, mais il veut pas risquer nos vies, à Isabel et moi... T'occupe pas de nous, on se protège tout seuls. On a pas tellement besoin que tu sois toujours là pour nous couvrir, bon sang ! Fais-nous un peu confiance pour changer !

Livaï a attrapé son couteau et joue à son lancer-rattraper habituel. Je veux qu'il y réfléchisse sérieusement. On ne sait pas quand ce Smith peut se pointer, s'il viendra directement ici - peu de chance, quasiment personne ne sait que nous sommes ici, et apparemment, Bastian a disparu - ou s'il nous tombera dessus à notre prochain raid. Mais il faut se mettre d'accord : si on est poursuivis, il faut se laisser capturer sans que ce soit trop facile, ok ?

Livaï a pas l'air décidé à obtempérer. Je dois bien admettre que ça m'inquiète... Quand il ne veut pas partager ses pensées et qu'il garde cette expression neutre et fermée, c'est dur de deviner ce qu'il a en tête... Et je sais bien que l'idée de se laisser choper exprès ne lui plaît pas du tout.

Je risque un dernier argument. Si on fait pas en sorte que Rovoff échappe aux autorités, il se pourrait qu'on ne puisse plus utiliser le harnais. C'est lui qui nous refile notre gaz, je te rappelle. Et il se peut même qu'après notre refus, il ne nous en vende plus. Je suppose qu'il a d'autres chats à fouetter, mais c'est à envisager. On a donc deux options : soit on reste ici avec une forte probabilité de se retrouver comme simples truands comme on l'était avant, sans possibilité d'utiliser le harnais ; soit on fait en sorte de s'arracher d'ici et d'aller vivre honnêtement à la surface. C'est pas si grave, regarde : si tu tiens tant que ça à voler, tu pourras toujours t'engager dans la garnison, ils te prendront sans problème. Et ta boutique de thé, tu y penses pas encore un peu ?

J'en suis à lui balancer ce genre d'argument quand Isabel rentre en claquant violemment la porte. Je constate tout de suite qu'elle a eu des problèmes - son visage est couvert d'ecchymoses, elle saigne du nez et ses cheveux sont tous défaits. Livaï le remarque aussi et je lui demande ce qui lui ai arrivé. Apparemment, elle s'est fait choper par les types qui lui courent après depuis des années... Elle a encore dû les provoquer.

Elle ronchonne que ça me regarde pas, qu'elle est juste tombée. Je remarque qu'on a coupé une partie de ses cheveux... comme si on avait voulu l'humilier... Et les cheveux, ils sont tombés tout seuls aussi ?

Elle court vers la porte de sa chambre en me gueulant que les cheveux, ça repousse, et s'enferme dedans. Je reste un peu gêné du silence qui suit, uniquement troublé par les sanglots qu'Isabel étouffe dans son oreiller... Je sais pas vraiment quoi faire ; elle me repoussera si j'essaie de la consoler maintenant.

Je regarde Livaï, qui a pas dit un mot, mais qui continue de s'intéresser à la lame de son couteau, comme si c'était un miroir. Et ouais, mec. Ce coin craint, il craint vraiment, et ça a toujours été le cas. On aura beau faire en sorte que tout se passe bien et de vivre au mieux dans cette déchetterie, ça reste un tas d'ordures. Je veux le quitter, Isabel aussi. On en rêve. Tu pourras pas changer les bas-fonds. S'il te plaît... aide-nous à réaliser ce rêve. Fais-le pour nous tous, et pour toi aussi. Si on reste une année de plus dans ce trou, on va devenir dingues...

Livaï réponds pas mais ses pupilles ne sont plus que deux points métalliques quand il se relève. Il se dirige sans un mot vers la porte, le couteau dans la poche et se tire en claquant la porte. Et je reste, au milieu de mes deux meilleurs amis, qui ont aujourd'hui décidé que je devais pas me mêler de leurs affaires.

Livaï, dis-moi... T'es pas allé les tuer, hein ?

Les Chroniques de Livaï ~ Tome 1 [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant