COMMENT DEVENIR UN EXPLORATEUR ?(mai 844)Livaï

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Au pied du Mur, si je puis dire

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Au pied du Mur, si je puis dire... Ce n'est qu'ici qu'on peut réellement juger de cette hauteur vertigineuse.

On nous fait descendre de cheval et mettre en rangs. Smith suit le major comme un toutou attentif aux ordres, et Furlan me fait un signe discret pour me signifier de rester calme. Il sait bien ce qui s'est passé - tout le monde le sait, les militaires sont de vraies commères - et ne veut pas d'autres débordements. Cette grande perche m'a provoqué, j'allais pas me laisser faire, non ? Il a dû comprendre la leçon, et se la ramènera plus. Même si je continue de pas l'apprécier, je suis maintenant capable de plus faire attention à lui quand il est là.

Shadis nous ordonne de nous préparer à escalader le Mur. Je vois, autant continuer l'entraînement durant cette petite sortie. Ce n'est pas si facile de monter en rappel le long d'une façade verticale, et c'est le genre de chose qu'on nous a appris à faire le long de la muraille de la forteresse du bataillon. Nous trois, on savait déjà faire ça. Mais ici, il s'agit d'une surface de... combien déjà ? Cinquante mètres de haut, je crois. Nos câbles ne sont pas si longs et si on veut atteindre le sommet, il va falloir utiliser les filins avec justesse.

On commence à se mettre en position. Le premier planté de grappin est pas compliqué, et il suffit de rembobiner doucement pour monter. Il faut les utiliser les uns après les autres pour parcourir la distance, c'est pas si compliqué. Mais quelques-uns ont des soucis. Faragon, Shadis et la grande perche prêtent main forte aux retardataires, et bientôt nous voici tous en mesure de poser le pied sur le vaste rempart qui protège l'humanité de sa plus grande menace.

Le soleil vient de se lever depuis l'horizon et même s'il n'est pas face à moi, je dois m'abriter les yeux pour ne pas être ébloui. Mon regard s'habitue au changement de lumière et je parviens à jeter un oeil au loin, tandis que l'autre me brûle. Je ne distingue rien d'abord, mais ce rien est déjà quelque chose. Aucune habitation, aucune route, hormis une trace brune plus claire que l'on doit aux sabots des chevaux qui ont foulé ce sol pendant une centaine d'années ; allers et retours, incessants...

Furlan se rapproche de moi - je sens que c'est lui sans avoir besoin de le regarder - et me montre du doigt d'étranges formes sombres bougeant lentement sur le fond vert des prairies sauvages recouvertes de brume. Mais ce n'est pas ce qui capte mon attention ; j'aurais toute la journée pour observer nos futurs ennemis, qui me paraissent à ce moment encore plus intangibles qu'auparavant. Je suis irrésistiblement attiré par autre chose...

La ligne d'horizon qui se découpe loin, très loin d'ici, apparaît progressivement, émerge des ombres de la nuit, et me fait deviner un panorama issu des rêves de mon enfance. J'imagine des crêtes, des vallées, des étangs calmes reflétant des nuages somnolents... Je ferme les yeux, et la sensation que j'avais éprouvée l'autre jour près du lac se rappelle à mon esprit ; la sensation que le monde est en vérité un lieu de paix que seuls les humains viennent troubler. Ce monde n'en a rien à faire de nous, il pourrait continuer de vivre sans nous. L'humanité aurait-elle disparut, que la beauté de ce paysage n'en serait pas changée...

Mais... qui pourrait l'apprécier si nous disparaissons ? Quels yeux pourraient contempler ce ciel aux teintes impossibles à reproduire ? Qui pourrait se délecter de la douceur de cette herbe sauvage, hormis les chevaux en liberté ? Qui pourrait sentir, comme je le sens maintenant, ce parfum venu d'au-delà du Mur, si pur, légèrement salé, et qui me fait respirer profondément ?

Qui n'aimerait pas vivre ça tous les jours ? N'est-ce pas un droit que nous avons tous, même si nous sommes imparfaits et que nous ne méritons pas un monde pareil ? Moi, je voudrais pouvoir le faire, me remplir les poumons chaque jour de cette vitalité qui semble faire vibrer la terre qui se trouve loin sous mes pieds...

Isabel glisse sa main dans la mienne et je la serre très fort. Elle pose sa tête sur mon épaule sans dire un mot, ce qui est inhabituel chez elle. Mais je ne trouble pas son silence. Je la sens confiante, en elle, en moi. Elle a envie de s'élancer au galop sur cet espace sans limite, qu'aucun autre Mur ne vient borner. Je le voudrais aussi. Plus aucun obstacle... Aucun plafond, aucune muraille pour m'empêcher d'atteindre ce que mes yeux voient là-bas. Il suffit d'avancer, droit devant, d'un pas sûr et convaincu...

Je veux savoir ce qu'il y a au-delà de cet horizon... Je le veux tellement que je sens de nouveau les larmes venir... Ce n'est pas le soleil cette fois, mais autre chose que je parviens pas à définir... Le vent vient caresser mon visage sans aucune méchanceté, comme pour m'encourager, très doux... comme une main aimante...

Maman, est-ce toi qui voles par ici ?... As-tu découvert ce qu'il y a au bout du monde ?...

Les Chroniques de Livaï ~ Tome 1 [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant