IL PLEUT DES MORTS(juin 832)Erna Gerhild, chef de la garnison souterraine

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Nous ne sommes plus qu'une poignée

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Nous ne sommes plus qu'une poignée. Des fantômes au teint pâle.

Il fallait s'y attendre. Nous avons dû ramasser tellement de cadavres qu'il était inévitable que nous soyons contaminés. Le gouvernement ne nous a envoyé aucun secours, aucun matériel adéquat pour mener notre mission dans les meilleures conditions. Il est beaucoup trop occupé à gérer l'épidémie du Mur Sina.

Les largages de morts ont fini par cesser. Mais nous sommes trop peu nombreux pour parcourir les rues et les nettoyer. Et trop faibles aussi. J'ai envoyé plusieurs de mes hommes à l'hôpital, et ceux qui restent me supplient de m'y rendre à mon tour. Mais je dois rester jusqu'au bout.

La garnison n'étant plus capable d'assurer le barrage à l'escalier - et l'armée ne pouvant pas s'en occuper pour l'instant - nos supérieurs craignent que des gens d'ici montent là-haut. Même si la maladie - la peste, c'est comme ça qu'ils l'appellent - a maintenant infecté les trois Murs, les bonnes gens du Mur Sina ne veulent pas davantage voir d'indigents dans leurs rues, comme toujours. Il a donc été décidé de donner la charge de la surveillance des bas-fonds à une milice privée ; un député, proche du roi, un certain Nicolas Rovoff, a accepté de faire descendre ses hommes dans les bas-fonds, essentiellement pour faire régner l'ordre, aucunement pour aider la population. Je dois attendre leur venue.

Je doute que ce Rovoff vienne en personne. Sa milice elle-même ne vivra pas ici, mais interdira l'accès à l'escalier de l'extérieur. Ils ne sont pas fous, ils ne veulent pas mourir. L'air en bas est encore plus vicié qu'à la surface... L'initiative me paraît tout sauf altruiste. Une importante récompense a dû être promise à ce Rovoff en échange de son aide.

Ils se font attendre. Ils doivent venir signer des papiers de transfert stipulant la nouvelle prise de responsabilité des bas-fonds. Malgré la mort qui nous cerne, nous restons soumis aux procédures. Il y a quelque chose de rassurant là-dedans... mais je ne me fais pas d'idée. Si un remède n'est pas découvert et distribué à la population des bas-fonds dans les jours qui viennent, je suis foutue.

Ma main tremble. Les bubons que je trimballe me font tellement mal que j'en ai le tournis. On ne prend plus la peine de passer le harnais, on en a plus besoin, et les courroies nous meurtrissent encore davantage... Le simple fait de mettre une chemise est un supplice.

Les voilà. Ils ont beau porter des masques sur la figure, on voit bien que ce sont seulement des coupes-jarrets. Mais ils seront tenus par un contrat, dont leur patron devra rendre compte. Je saisis ma plume d'une main peu assurée et je signe les papiers de mon côté. Ma signature est bancale... Quand je pense que ce sont sans doute les derniers documents que je signe... L'un d'eux, peut-être le leader, prend ma plume sans aucune crainte et signe lui aussi les documents au nom de son patron. C'est fait. Ils s'en retournent avec leurs exemplaires. Aucun mot n'aurait pu être échangé.

Je souffle un peu sous mon masque. Je vais pouvoir me rendre au refuge... et y mourir en paix. Avec tous mes camarades qui restent. Mais il est hors de question qu'on me laisse agoniser. Je donnerai des instructions pour qu'on abrège mes souffrances si je passe le point de non-retour. Et ma famille ? Si mes parents sont encore en vie, dans le Mur Rose, j'aimerai qu'on leur dise que leur fille est morte dans l'exercice de ses fonctions, en bon soldat. Tout ce qu'il me reste à espérer, c'est qu'un remède soit découvert au plus vite pour sauver ceux qui peuvent l'être dans les bas-fonds...

On m'aide à me lever. Je vacille, tout se brouille autour de moi... Ce n'est pas comme ça que j'imaginais sortir d'ici... Je regarde leurs visages, aussi blafards que le mien, les yeux rouges de fatigue et de peur...

Vous allez tous me manquer, les gars...


Les Chroniques de Livaï ~ Tome 1 [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant