IL PLEUT DES MORTS(juillet 832)Livaï

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Ca fait des heures que j'ai pas bougé

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Ca fait des heures que j'ai pas bougé.

Mes forces sont en train de me lâcher. Mes bras et mes jambes sont comme du plomb. Je me sens sale et vidé...

J'ai plus rien à manger et plus assez d'énergie pour y faire quoi que ce soit. Tout à l'heure, j'ai essayé de me traîner jusqu'à mon lit, mais je suis resté étendu par terre comme un sac. Bordel, ce que j'ai chaud... et soif. Mon seau est encore à moitié plein - l'eau doit être croupie - mais je me vois pas y arriver...

Allez, Livaï, un effort. Te laisse pas crever sans te battre.

Je me déplace à quatre pattes vers le seau. Il me faut de l'eau. Même son odeur me rebute pas tellement j'ai soif ; je la sens pas. Je plonge mon visage dedans et ça me rafraîchit. J'en avale un peu, quelques gorgées. J'ai la gorge irritée... J'oublie presque de me relever et manque de me noyer. Noyé dans un seau, j'ai jamais entendu parler d'une mort plus conne !

Je m'affale par terre et je reste là, étendu, les bras en croix à regarder le plafond. Machinalement, je tâte mon flanc. Elles sont là. Ces deux horreurs qui sont apparues il y a deux jours, et dont je connais parfaitement la signification ; j'en ai vues assez pour le savoir.

Il a fallu que ça m'arrive...

Si j'avais assez de force, je prendrais mon couteau pour les charcuter... J'en ai tellement envie ! Je peux plus les supporter... C'est comme si elles poussaient des racines dans tout mon corps et me volaient le peu d'eau et de nourriture qui me restent dans les veines... Elles me paraissent si énormes... C'est comme si elles disaient à chaque battement de mon coeur "laisse-toi faire, Livaï... laisse-nous nous occuper de toi... laisse-nous t'achever..."

Je serais tenté de les laisser faire... Mais arrêtez de me faire si mal, putain !

Je vais y rester. J'en ai jamais eu autant conscience jusqu'à maintenant. Est-ce que maman s'est dit la même chose elle aussi ? Est-ce qu'elle a compris à un moment que c'était trop tard, que personne la sauverait ? Est-ce qu'elle a senti la mort ramper sous sa peau, comme moi ? Maman, tu es là ? Tu m'attends ?

Attends-moi, je vais plus tarder... J'ai envie que ça se termine...

Je suis dans une demi-conscience. Je vois plus rien, mais j'entends tout beaucoup plus nettement. C'est comme si j'étais concentré dans mon cerveau ; plus de bras, de jambes, de corps... Plus aucune sensation physique... Je flotte dans le vide... Oui, je flotte...

Non, je flotte pas, ce sont des mains qui me soulèvent. J'entends très bien le bruit des bottes sur le plancher ; je sens même les vibrations, c'est donc que mon corps est toujours là. Encore, des mains. Elles défont ma chemise et me palpent. J'ai envie de vomir à l'idée qu'un plumeur puisse se défouler sur moi. Mais je sens que c'est pas ça. Ces mains-là ont l'air de savoir précisément ce qu'elles font, elles errent pas sur mon corps au hasard. Elles sont froides...

Maintenant, j'entends des voix autour de moi. Je saisis des mots : "... se dépêcher...", "... infection récente..." , "... encore temps...". Puis je sens une piqûre dans mon flanc, là où les pustules ont poussé... La douleur est fulgurante et je pense avoir crié. Tout mon corps se rappelle à mon bon souvenir, depuis le bout de mes doigts jusqu'à mes orteils.

Je suis vivant.

Je sens qu'on me transporte ailleurs, puis je sens les cahots d'une charrette et le pas d'un cheval. Je rouvre les yeux. Je suis bien dans une charrette. Un type en blouse blanche - cette couleur me fait presque mal aux yeux - est penché sur moi et me parle. Progressivement, ses mots sont plus nets. Il me dit de pas m'inquiéter car on m'amène au refuge pour être mieux soigné. Soigné ? V'là autre chose. Et puis je réalise.

Je suis plus malade ? Je vais pas mourir ? J'ai envie de l'attraper par son col blanc impeccable mais je suis encore trop faible. On m'emmène où ? Au refuge il a dit ? On va me faire quoi, là-bas ?

Je jette mes bras en avant vers son cou pour avoir des réponses. Mais je sens qu'on me plaque contre le fond de la charrette. Le type en blanc brandit vers moi un genre de tube transparent rempli de liquide, et je vois une goutte briller au bout d'une longue aiguille... Il l'abaisse vers moi - je sais qu'il m'injecte quelque chose - et au bout de quelques secondes, je me sens partir.

Plus rien...

Les Chroniques de Livaï ~ Tome 1 [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant