DONNEZ VOTRE COEUR(mai 844)Livaï

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Ca me saoule de faire le pied de grue

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Ca me saoule de faire le pied de grue. En plus, ils mettent un de ces temps... Ca doit faire une bonne demi-heure que j'attends un signe.

J'ai pas osé mettre en avant les failles du plan de Furlan, il avait l'air tellement sûr de lui. Mais la petite a soulevé quelques problèmes évidents. Si ça se trouve, ces documents ne sont plus ici. Même si Furlan a surveillé la grande perche, et n'a vu personne de suspect ou d'inconnu au bataillon l'approcher, ça reste une éventualité. Et donc, on aurait fait tout ce chemin pour rien.

Tant de temps et d'énergie pour un bout de papier dont on sait même pas qu'il existe... Si ce n'avait pas été pour lui, je me serais pas engagé dans cette galère. Difficile de prévoir que tout ceci arriverait... S'il trouve rien, la dernière option sera de choper Smith et de le fouiller nous-mêmes. Je partirai pas sans l'avoir zigouillé, documents ou pas documents.

L'enthousiasme d'Isabel est préoccupant. Elle semble se faire contaminer par l'ambiance du bataillon. Elle a l'air de vraiment se plaire dans son rôle. Mais c'est tout ce que c'est : un rôle. On le jouera le temps qu'il faudra, mais j'ai pas l'intention de rester un troufion ici. Les nôtres nous attendent, y a rien pour nous ici.

Mais... quand j'ai tué ce titan, j'ai ressenti quelque chose de bizarre, d'inattendu. Je me suis senti fier et satisfait de moi, comme après un raid réussi. Non, c'était plus fort que ça. La sensation d'avoir fait quelque chose d'important avec le dispositif 3D, quelque chose qui faisait l'admiration des autres. Ca a été très facile, bien plus que je ne le pensais...

Comme si je m'étais entraîné toute ma vie pour ce combat.

Je dois bien admettre que leurs valeurs sont pas mauvaises, et je comprends à peu près pourquoi ils font ça. Mais en quoi ça me concerne, moi ? On m'a jamais rien offert, pourquoi je ferais en sorte que tous ces rupins égoïstes sortent de ces Murs ? Ils ont qu'à y rester. C'est pas mon affaire.

Je me redresse et m'installe un peu plus confortablement contre le mur du couloir. Je dois avoir l'air décontracté mais j'y arrive pas. L'idée qu'Isabel puisse décider de rester avec eux m'inquiète. Je me vois pas la laisser seule ici. Mais je me vois pas non plus faire pareil. En fait, je sais pas où j'en suis... C'est communicatif, tout ça. Ces gens risquent leur vie pour une utopie qu'ils peuvent qu'à peine entrevoir, et même si j'en ai pas envie, je peux pas m'empêcher d'essayer de l'imaginer, moi aussi. La façon dont ils parlent des lendemains est assez naïve... mais a quelque chose d'exaltant. Je comprends pourquoi on les prends pour des fous. Ils sont jamais là où ils devraient, leurs corps sont présents et réels, mais leurs esprits sont constamment à autre chose. Ils ont peur des titans - pas moi - mais affrontent cette peur constamment.

Ca me rappelle le passé ; le gamin que j'étais, qui se fourrait toujours dans les ennuis, et qui comptait sur Kenny pour le tirer de tous ses mauvais pas, souvent par la peau du cul... Mais les titans sont pas des truands. Et Kenny est plus là. Il est pas question que je...

J'entends un bruit dans le couloir. Celui de bottes qui claquent sur le sol. Merde. Reste calme, Livaï. Reste concentré sans en avoir l'air. Qui que ce soit, il doit pas remonter ce couloir maintenant.

Evidemment. La grande perche. Ca pouvait pas être pire. J'essaie de refouler ma colère pour rester stoïque. Peut-être qu'il dégagera si je reste là. Non, bien sûr, il va à son bureau. Il est obligé de passer par là. Furlan, dépêche, bordel ! J'ai pas l'intention de tailler le bout de gras avec lui !

Il s'est arrêté en m'apercevant. Je vois sa gorge tressauter, puis il reprend sa route. Je l'intimide ? Très bien, pourvu que ça dure. Il doit se souvenir de sa dérouillée. Mais imagine pas que ça règle nos comptes, mon grand. Il s'avance de quelques pas sans me lâcher des yeux - arrête ça - puis me demande où sont mes "lieutenants" ? Mes lieutenants ? Je suis pas un putain de chef comme toi ! Je me retiens de lui dire ça, mais le message passe.

J'aimerai bien qu'il passe, lui aussi. L'entendre me parler est aussi désagréable que l'idée qu'il puisse tomber sur Furlan sortant de son bureau. Bordel, je dois prendre sur moi ! Il se remet à marcher. Merde... non, faut pas qu'il parte ! Je dois prévenir Isabel qui est plus loin dans le couloir ! Vas-y, pose-moi une question, n'importe laquelle !

Il me demande si je m'habitue à l'armée. Tiens, mon bien-être le préoccupe. Inattendu... J'ai pas de raison de lui répondre aimablement, alors je suis franc. Rester tout le temps collé à des fanatiques des titans, dans ton genre, c'est chiant. Je m'en fous que ce soit normal, ou le profil recherché pour le bataillon. Ca prouve bien que j'ai rien à y faire, non ? Bon, espérons qu'Isabel a bien pigé, parce que j'ai dit ça si fort que tout le bataillon a dû entendre.

Il hésite et regarde le sol une minute. Je me demande s'il va se décider à partir ou... Apparemment, il en a pas fini avec moi. Il me sort qu'il a été très impressionné par ma performance d'aujourd'hui, et que tuer un déviant lors d'un premier combat est un véritable exploit.

...

J'avoue qu'il me prend par surprise. J'imaginais pas qu'il puisse me dire ça. Et il a l'air sincère en plus. C'est quoi, l'entourloupe ? Ok, au moins c'est un sujet de conversation intéressant. Gagnons du temps. Je lui réponds que c'est en voyant les autres se faire tuer que j'ai compris comment m'y prendre. Débrouille-toi avec ça. Et s'il te prends l'envie de fondre en larmes au souvenir de tes camarades tombés, tu le feras sans moi.

Il s'effondre pas du tout. Il reste bien droit, le regard toujours fixé sur moi - il cherche à m'hypnotiser ou quoi ?! - et me répond que si le bataillon en est là où il est aujourd'hui, c'est grâce aux sacrifices des soldats qui les ont précédés. Visiblement, ça le dérange pas d'envoyer les troufions au casse-pipe. Au moins, il sait ce qu'il veut et comment y parvenir, et il s'en cache pas. Plutôt impressionnant, niveau sang-froid.

Furlan doit être sorti. J'entends des bruits de pas de l'autre côté. Peut-être Isabel. Mais Smith en a pas fini encore. Il me rappelle qu'un explorateur est prêt à donner son coeur - au sens propre - pour la cause de l'humanité, qu'il soit un gradé ou un simple soldat. Tous font ce choix.

Il reste là, à me fixer sans rien dire, sans doute dans l'attente de l'effet de son discours sur moi. Je laisse rien paraître. Mais je mentirai si je disais que ça m'a pas un peu chamboulé... Ces gens choisissent de donner leur vie ? Mais pour quoi ? Même si le bataillon réussissait à tuer tous les titans et que les humains sortaient des Murs, aucun d'eux ne le verrait. Les morts ne peuvent pas profiter de tout ça, alors pourquoi se priver de la vie ? J'ai passé toute mon existence à survivre comme un chien, et tu me sors que ça vaut rien ?! Et toi, Smith, tu le ferais ?

Je lis la réponse dans la couleur de ses yeux : oui, il le ferait lui aussi. Sans hésiter. Putain, tu m'emmerdes, mec. Je suis pas un martyr. La vie que tu mènes m'intéresse pas... Mais... à bien y réfléchir... ma vie dans les bas-fonds était-elle meilleure ? A vivre au jour le jour, sans perspective d'avenir, sans rien d'important à défendre à part la vie de mes camarades ? Mes camarades... oui, c'est ça qui est important, pas les titans, ou les Murs. Au moins, toute cette clique a un idéal. Est-ce que j'en ai jamais eu, moi ? Je voulais être le "chevalier" de maman, puis celui de Betti. Toutes les deux m'ont quitté... Je voulais que Kenny soit fier de moi, mais il s'est barré... J'ai pas pu protéger Clem...

Personne a besoin de moi, je suis qu'un vaurien dont tout le monde se fout. Toi aussi tu t'en fous. Tu veux juste de la chair fraiche à sacrifier à tes titans. Compte pas là-dessus.

Ah, Isabel viens vers nous. Enfin, je commençais à me sentir mal. On s'éloigne ensemble dans le couloir l'air de rien, plantant Smith sur place. Mais son regard pèse encore sur mon mes épaules... J'espère qu'il a rien vu, rien compris de toutes les questions que je me suis posées par sa faute. Je dois les chasser de ma tête... Je voudrais...

Alors pourquoi j'arrête pas d'y penser ?

Les Chroniques de Livaï ~ Tome 1 [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant