LE GRAND NETTOYAGE(février 838)Furlan Church

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Les potes sont debout mais encore dans le coltard, on marche comme des somnambules

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Les potes sont debout mais encore dans le coltard, on marche comme des somnambules. Egon a passé une partie de la nuit à nous expliquer le plan du prochain raid. J'y ai prêté une oreille distraite parce que maintenant on est assez nombreux - treize en tout - pour que je sois écarté de ces opérations. Même s'il m'arrive encore de faire la surveillance de temps en temps si c'est un gros coup, mon boulot consiste essentiellement à rester à la planque, à répertorier la marchandise et à compter le fric. Personnellement, ça me va très bien.

Je baille à m'en décrocher la mâchoire au moment où on frappe à la porte. Tambouriner serait plus juste. On sent bien une terrible impatience derrière ces coups. Ce serait pas la milice Rovoff ? Qu'est-ce qu'on a fait encore ?

Comme je suis le plus proche de la porte, je vais ouvrir, les yeux dans le vague et les cheveux en bataille. Et je tombe nez à nez avec Livaï. Foulard sur le nez, torchon immaculé sur la tête et balai à la main, il me regarde des pieds à la tête et ses sourcils se froncent. Il écarte le foulard de sa bouche et me demande d'un ton indigné ce que je fais encore là. Qu... quoi, que je lui demande ? J'essaie de le cacher aux yeux des autres - ce qui est pas très dur, il est pas grand - parce que je veux pas qu'Egon remarque que je lui parle.

Livaï s'écarte un peu et me montre un groupe d'autres personnes armées de balais, de seaux, de serpillères. Ah ouais, je comprends : il a passé la nuit à convaincre les habitants de mettre la main à la pâte. C'est peut-être pour ça qu'il est énervé dès le matin... Je bredouille que Hagen et moi on est pas encore prêts, mais qu'on arrive. Il peste dans son foulard et me pousse de côté pour entrer dans la planque.

Ouhlà, du calme ! Si Egon voit ça, il va péter un... Mais Livaï s'arrête juste à l'entrée et toise les autres de sa petite taille qui nous écrase tous pourtant. Egon s'approche, la bouche ouverte, prêt à dire un truc, mais Livaï l'arrête d'un geste. Il lui annonce qu'il a besoin de bras pour le projet de grand nettoyage des bas-fonds, et comme Egon en a beaucoup à disposition, il va en réquisitionner.

J'en reviens pas de son audace ! Ca me fait presque sourire et je peux pas m'empêcher de scruter la réaction d'Egon. Je vois bien qu'il est pas content du tout, parce que le raid était prévu pour demain, et qu'il aura peut-être besoin de tout le monde. Mais ce qui me scie surtout c'est qu'il ose absolument pas s'en prendre à Livaï, même verbalement. N'importe quel autre type qui se serait invité ici pour la même chose serait ressorti sans sommation, et peut-être même les pieds devant. Mais avec Livaï, Egon semble comme privé de moyens. Ou alors il est lui-même trop fatigué pour lutter.

Il répond qu'il a rien à fournir et que tous ses gars sont assignés à d'autres taches pour aujourd'hui, qu'il est désolé et lui demande de sortir. Livaï bouge pas d'un pouce pourtant et jette un oeil à la ronde. Il se désintéresse d'Egon et demande directement aux autres si y en a qui veulent venir aider. J'ai déjà enfilé un pantalon et une chemise et attrapé mes ustensiles, ainsi que Hagen. On attend la réponse des autres et finalement, quelques-uns acceptent de venir.

Faut dire qu'on apprécie pas tous Egon dans le groupe. Y en a bien trois ou quatre qui sont ses amis et qui le suivraient n'importe où, mais pas mal d'autres le trouvent trop tyrannique et ne restent que parce qu'on se fait de l'argent facile avec lui. Peut-être que c'est un peu mon cas aussi...

Pourquoi décident-ils de suivre Livaï ? Pour s'éloigner un peu d'Egon et le faire tourner en bourrique ou bien parce qu'ils ont bien davantage peur que Livaï le leur fasse payer sils se dévouent pas ? Peut-être un peu des deux. Hagen et moi, on était les seuls déjà décidés à le faire de toute façon.

Livaï lance à Egon - sans même le regarder, insulte suprême dans le milieu - qu'il lui ramènera ses gars à la fin de la journée et qu'en attendant ils seront sous ses ordres. Egon pipe pas mot et, avec Hagen, on échange un rire silencieux.

On se joint au groupe déjà formé et tout le monde s'arme pour la journée. Je dis à haute voix qu'on a l'air vraiment bizarres, tous ensemble, truands et honnêtes gens mêlés, unis dans un même but : rendre le quartier plus propre et sain. Livaï me foudroie du regard et me répond qu'on va pas le rendre plus propre, on va le récurer jusqu'à ce que même les rats se sentent mal à l'aise et aillent crécher ailleurs. Je souris nerveusement et lui réponds que oui, bien sûr, c'est bien ce qu'on va faire.

Mais par quoi on commence ?

Livaï, debout sur la fontaine, forme des équipes et les envoie aux quatre coins du quartier. Il faut ratisser en ligne droite chaque rue, polir le pavé et faire reluire les façades des maisons. Etant donné que presque tout est en pierre maintenant, ça devrait pas être trop difficile à nettoyer. Chacun doit se concentrer sur quelque chose en fonction des outils dont il dispose. Mais il faut bien penser à d'abord vider les maisons de leur poussière et de leurs ordures avant de s'occuper de l'extérieur. Tout doit être empaqueté ou à défaut entreposé sur des charrettes qui patrouilleront, et brûlé plus tard sur les hauteurs des bas-fonds. Et l'incinération des ordures doit devenir un réflexe pour tout le monde, il insiste bien là-dessus !

Il a à peine finit de parler qu'il dégringole de la fontaine en furie et fend la foule vers le fond de la rue comme une tempête. Tout le monde le suit des yeux et l'observe se diriger vers un quidam en train de se soulager contre un mur. Ouhlà, mauvaise idée, je crains le pire... Il fout un coup de pied dans le cul du mec qui tombe sur le côté et le relève, le pantalon sur les chevilles et en le tenant par l'oreille. Aïe, ça doit faire mal ça...

Il lui hurle de faire ce genre de chose chez lui dans son pot de chambre à partir d'aujourd'hui, ou dans un coin où on aura ni à le voir ni à le sentir.

La journée se présente pas si mal...


Les Chroniques de Livaï ~ Tome 1 [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant