Les Chroniques de Livaï ~ Tome 1 [+13]

BAPTÊME DE SANG(mai 844)Erwin Smith

Magistrale démonstration.

Aucun d'eux ne sait que j'ai assisté à la scène. Une fois le cortège presque arrivé à l'avant-poste et hors de vue des titans, je me suis dépêché de ramener mon escouade sur nos pas afin de porter secours aux lignes arrières aux prises avec nos ennemis. Nous sommes arrivés au moment où Church et Magnolia faisaient chuter leur cible. Nous étions aux premières loges pour admirer le coup de grâce.

Mike, juste derrière moi, n'a pas pu s'empêcher de siffler pour montrer son étonnement. Il m'a toujours fait confiance, mais n'a jamais caché ses doutes quant à l'intégration de ces trois éléments hors-la-loi dans nos rangs. Il craignait l'insubordination, voire le sabotage, tout en mettant en avant le fait que leur apparente docilité ne pouvait être prise comme un signe d'engagement profond.

J'en ai toujours été conscient, et malgré cette action d'éclat indéniable, je ne peux baisser ma garde quant à leurs intentions. Je suis toujours leur cible, quoi qu'il arrive. Leur prise de conscience n'est pas encore totale ; du moins ont-ils pu constater que les titans sont réels, et une vraie menace pour l'humanité voulant légitimement retrouver sa liberté.

Livaï saute à bas du titan, et celui-ci se met à se désintégrer lentement, comme d'ordinaire. Les trois recrues s'en étonnent - Magnolia fait même un bond en l'air - mais ne s'en effraient pas. Leur sang-froid est exceptionnel. Peu de jeunes recrues restent aussi stoïques suite à leur première victoire. La plupart s'effondrent à cause de la tension accumulée pendant le combat, d'autres tremblent de tout leur corps au point qu'il est nécessaire de les porter.

Church tape amicalement l'épaule de Livaï en le félicitant et il lui rend la pareille. Cette camaraderie qu'ils entretiennent doit pouvoir s'étendre au reste du bataillon. J'ai bon espoir que cela arrive. Ils ont une excellente coordination de groupe ; il ne faut pas les séparer. Même Faragon a l'air inhabituellement satisfait. Espérons qu'il ne relâche pas ses efforts pour amener ces trois prodiges à utiliser leur talent à son service la prochaine fois, au lieu de les laisser décider par eux-mêmes. Cela lui évitera peut-être de perdre encore des hommes. Nous irons chercher les cadavres à la faveur de la nuit... si cadavres il y a encore.

Mon escouade et moi décidons d'intervenir, car l'endroit peut potentiellement devenir un nouveau champ de bataille. Un attroupement d'humains à découvert est susceptible d'attirer les titans par ici. Je fais signe à Faragon qu'ils doivent tous se remettre en selle au plus vite et rejoindre l'avant-poste ; aucun autre titan dans les parages mais ces monstres peuvent surgir à l'improviste.

Les trois recrues attrapent leurs montures et nous voici tous en route pour le repaire du bataillon. Sairam, le protégé de Faragon, semble en état de choc après ce qu'il vient de voir. Nos truands semblent finalement les moins atteints par ce qui vient de se passer, comme si cette bataille n'avait été rien de plus qu'une rixe dans un bar. Je me demande si leur vie mouvementée ne les a pas conditionnés à se remettre bien plus vite des évènements que tout un chacun jugerait stressants. Il y a sans doute de cela, leur moral est bon. Pas de crise de larme, ni de prostration, ils sont maîtres d'eux-mêmes. J'ai beau l'avoir espéré, constater que cela se passe comme prévu me soulage.

J'observe Livaï à la dérobée, essayant de deviner ses pensées. La mise à mort finale qu'il a infligée à l'ennemi était digne de lui, digne des prévisions que j'ai faites à son sujet. S'il était plus bavard et démonstratif, il ferait un bon chef d'escouade. Je m'avance peut-être un peu trop encore... Je suis presque certain qu'ils tenteront encore de me dépouiller des documents une fois à l'abri. Le petit nombre de soldats ainsi que la plus grande promiscuité entre nous tous les dissuadera peut-être, mais je ne peux l'affirmer.

Je ne pense pas qu'ils aient oublié leur objectif premier. Il va falloir que je m'occupe de cela sérieusement. Si nous rentrons de l'expédition sans que leur état d'esprit ait changé, sans que tout ceci ait eu sur eux l'impact nécessaire pour les gagner à notre cause, ils pourraient bien disparaître. Je pourrais toujours avancer la menace de les dénoncer aux brigades - menace qui plane toujours au moins virtuellement sur leurs têtes ; je pourrais m'abaisser à ce genre de méthode, leur faire goûter de la prison et leur montrer l'échafaud sur lequel sont exécutés les criminels comme eux, mais j'aimerais ne pas en arriver là. On ne peut devenir un bon explorateur par la coercition ; le désir doit être vrai.

A mes yeux, ce qu'ils ont commis dans le passé n'importe pas ; seul compte ce qu'ils ont fait aujourd'hui et ce qu'ils peuvent faire par la suite. Je vois de grandes choses pour eux. Que penseraient-ils s'ils savaient que j'ai d'ores et déjà fait fabriquer leurs nouveaux papiers d'identité, et que ceux-ci les attendent au retour ? Je ne peux pas certifier que je les leur remettrai, tout dépendra des heures qui viennent. Keith doit absolument pousser l'expédition plus loin, afin de leur donner une chance de réellement ouvrir les yeux sur la nécessité de combattre les titans. Si nous faisons demi-tour demain, je doute que cela arrivera. Nous devons leur montrer la détermination du bataillon et ne pas battre en retraite maintenant. Heureusement, seuls trois morts sont à déplorer. Cela aurait pu être pire. Keith sera sans doute motivé pour poursuivre.

Livaï se retourne vers moi ; il a dû sentir que je le regardais tout en spéculant. Je ne sens plus la rage implacable des débuts dans son regard, mais de là à affirmer qu'il me considère comme un allié, je n'irai pas jusque là... Il faut qu'il arrive à comprendre qu'il peut se reposer autant sur moi que sur n'importe quel autre soldat du bataillon. A moins d'ordre contraire, les explorateurs ne s'abandonnent jamais les uns les autres.

Continue à me fixer avec animosité mais je sais que tu es en bonne voie pour comprendre. Tu es intelligent, tu as le sens de l'honneur et tu es capable de sentir la détresse des autres. Cette empathie, qui me manque peut-être, fait sans doute de toi un explorateur bien meilleur que moi. Il te suffit de te lancer vraiment dans l'aventure. De voir plus loin que les trois Murs. Ca, je sais le faire mieux que toi. Finalement, nous sommes peut-être égaux.

Les ailes que je t'ai données étaient le véritable enjeu de notre marché, Livaï. A toi d'en faire le meilleur usage.