UN MÔME ENCOMBRANT (novembre 821) Kenny Ackerman

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La première chose que j'ai faite après l'avoir pris avec moi, c'est de l'emmener manger un bout. Le petit tenait à peine debout, il devait être à jeun depuis quelques temps. Il s'est jeté sur la nourriture comme la misère sur le pauvre monde, mais il s'est trouvé vite rassasié. Les autres clients nous jetaient des regards surpris ; faut dire qu'on formait un drôle de tableau, tous les deux. Mais je pouvais attendre longtemps un merci ; Kuchel, t'as pas appris les bonnes manières à ton bâtard ?

Pendant le trajet, jusqu'à ma planque, il a pas décroché un mot. Il me suivait docilement sans rechigner, je trouvais ça bizarre qu'il me fasse confiance comme ça. Enfin, c'est pas comme s'il avait le choix. Il m'a entendu dire que je connaissais sa mère et m'a vu l'envoyer dans sa dernière demeure - un petit pot en terre -, je suppose que c'était tout ce qui lui fallait. Il lorgnait tout le temps vers ma poche, où j'ai mis la boîte avec les cendres de Kuchel, il a même essayé de me la piquer, le salopiaud, haha !

J'ai vite remarqué qu'il était pied nus, du coup je l'ai attrapé pour le mettre sur mes épaules. Il a lutté un peu, visiblement il voulait pas que je l'approche de trop, mais quand il a commencé à avoir les arpions en sang, il s'est laissé faire. Ca va pas être facile de communiquer avec lui, je pense bien, enfin, niveau conversation, ça risque de tourner en rond... Il agrippé mon cou avec ses doigts tout maigres aux ongles rongés, et on est partis comme ça.

Une fois rentrés, je l'ai envoyé se laver et il se l'ai pas fait dire deux fois. J'ai préféré le laisser tranquille pour faire ça, ce sont ses affaires, pas les miennes. Je me suis vite rendu compte qu'il savait très bien y faire et je me suis dis qu'au moins, j'allais pas devoir batailler sur ce sujet, ni le savonner moi-même. Quand il a eu fini, nu comme un ver qu'il était, je me suis mis en quête de fringues à lui donner. Evidemment, j'avais rien à sa taille, je lui ai donc fourgué une vieille chemise à moi. J'ai jeté les siennes, elles étaient plus bonnes à rien.

Quand j'ai commencé à me demander où il allait dormir, j'ai dû me forcer à ralentir le rythme. Je fais quoi, là ? Je me conduis comme si j'avais comme projet de le garder ici ! Mais c'était pas du tout le plan ! Le plan, c'était de le rendre présentable et de le balancer dans le premier orphelinat venu - y'en a sûrement quelques-uns ici, vu le nombre d'orphelins qui courent les rues ; ou dans un bordel, tiens, c'est plein de femmes en mal d'enfants ; y'en aura bien une qui en voudra.

T'emballe pas, Ken. Ce môme va pas moisir ici. Et de toute façon, j'ai pas le temps pour ça. Dès que j'ai un client, je retourne bosser. Je vais pas laisser ce morpion seul ici, non ? C'est pas parce que c'est le fils de ma frangine que je dois me sentir obligé à quelque chose ! Je lui doit rien du tout !

En attendant, je peux le faire dormir dans mon grand fauteuil. C'est pas ce qu'il y a de plus confortable, mais c'est mieux que rien. Ah bah, v'là autre chose ! Il est où, ce môme ? On le lâche des yeux une minute et il disparaît ! Non, il est là ; dans mon lit, évidemment. Bon, ça va pour cette fois, je prendrai le fauteuil, mais faut pas que ça devienne une habitude !

Je le regarde un peu pendant qu'il dort. Il ressemble tellement à Kuchel - telle que je me la rappelle au même âge - que ça en devient flippant. Je vais pas me laisser faire par de vieux souvenirs, soeurette ; désolé, mais ton gamin restera pas ici. Avec la vie que je mène, franchement... Tu voudrais quand même pas qu'il ait la même ? En plus, il est odieux. Enfin, il parle pas beaucoup, voire pas du tout, mais je suis sûr qu'il est insupportable, comme tous les gosses !

Je remonte quand même la couverture sur lui, histoire qu'il attrape pas froid. Personne voudra d'un enfant malade, alors je m'assure pour l'avenir... Le temps se rafraîchit, on aura sans doute un hiver bien froid... Peut-être que je vais hiberner dans les bas-fonds après tout, j'ai de quoi tenir la saison... enfin, moi tout seul. Celui-là, dès que je trouve une bonne adresse, je le largue.

Il se tortille un peu, se réveille et me trouve penché sur lui. Il aurait pu hurler ou un truc du genre, mais non, toujours pas. C'est un dur-à-cuire qui a peur de rien celui-là ! Il me défie même du regard ! Mais il a dû faire un cauchemar je pense... Faut dire qu'avec ce qu'il a vu... On en ferait pour moins que ça. Je suis resté à côté et il s'est rendormi. Demain, il me décrochera peut-être plus que quelques mots.

 Demain, il me décrochera peut-être plus que quelques mots

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Les Chroniques de Livaï ~ Tome 1 [+13]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant