Les Chroniques de Livaï ~ Tome 1 [+13]

LES MARCHANDS D'HOMMES(Septembre 836)Markus Othmar, trafiquant d'humains

Nos meilleures prises sont toutes parties cette semaine ; et à des prix plus élevés qu'on l'imaginait, quel bol !

Je me serais bien gardé le petit pour moi, mais les potes étaient pas d'accord ; les enfants, c'est ce qui rapporte le plus. Tant pis pour lui, il a qu'à prier pour que le vieux pervers qui l'a remporté lui ordonne seulement de récurer les casseroles.

Je pensais pas que ça marchait aussi bien, le trafic d'humains. J'y suis entré grâce à un bon piston, c'est très sélectif comme milieu. Parce qu'on risque la taule à perpèt si on se fait choper... Bah, les gueux des bas-fonds intéressent personne. Y a une manne quasi inépuisable de gosses ou de femmes seuls à récolter. Les rupins du Mur Sina en raffolent, de ces miséreux. On fait que répondre à leur demande après tout.

La milice Rovoff nous laisse faire nos affaires tant qu'on paie largement. Tout le quartier nord-ouest des bas-fonds nous appartient, et tout le monde peut pas y traîner. Ceux dont les visages ne sont pas connus se doivent de rebrousser chemin pour pas avoir d'ennui. Mais même si les brigades spéciales venaient jeter un oeil, elles trouveraient rien. Car même quand on est déjà sous terre, on peut faire encore mieux ! Un sous-sol dans le sous-sol ! C'est là que la marchandise est entreposées et que les enchères ont lieux.

Tous ceux qui s'y rendent sont des invités spéciaux ; des amis d'amis de clients qui ont été très satisfaits de nos services. Ils viennent jeter un oeil sur les produits à vendre avant la séance et font leur choix. Ensuite, ils attendent que passe l'objet de leur convoitise et ils enchérissent. C'est tellement simple ; ça coûte rien et ça rapporte gros.

La milice nous a interdit de toucher aux ménages, aux gangs de rue et aux touristes de bonne famille, car ils constituent un fond de commerce pour eux. Ca va de soi. Il reste bien assez de quoi s'occuper. Les putes qui font le tapin sans souteneur, les filles qui traînent, les garçons qui font la manche, les poivrots, c'est pas ce qui manque. Les filles et les garçons encore jeunes partent le mieux. Il nous arrive de tomber sur des hommes adultes, livrés par des chefs de bandes qui tiennent à se débarrasser de concurrents trop encombrants. Ils sont durs à mater mais on les brise toujours. Des coups de matraque, de fouets, des clopes appliquées là où il faut et on finit par obtenir un toutou docile.

De temps en temps, on fait notre marché à l'extérieur, dans le Mur Maria. Quelque raids sur des fermes ou des baraques isolées dans la campagne peuvent donner de bons résultats. Pas plus tard qu'il y a un mois, on a chopé une mère seule et ses deux filles dans une masure près d'un petit bois. C'était le gros lot. J'entends encore les cris de la femme suppliant qu'on la sépare pas de ses enfants ! Elles ont toutes été achetées, par des personnes différentes. Pour des usages différents aussi, sans doute. Ca me concerne pas, on gère pas le service après-vente.

Lanzo devrait plus tarder. C'est le sous-fifre de Bastian. Il l'envoie à sa place maintenant. Paraît qu'il aime pas trop la salle des ventes. Quelle petite nature, celui-là ! Y a pourtant rien de mieux au monde ! Sentir l'énergie de la salle, l'attente, le suspens des prix lancés à intervalles réguliers, la marchandise enchaînée sur l'estrade, soumise et dans l'angoisse de son sort, et enfin contempler le visage de celui qui a remporté la partie ! Et un bon paquet de fric à l'arrivée ! Aah, je troquerais cette vie pour aucune autre !

Le voilà. Je lui donne le montant de notre loyer, sans discuter. De toute façon, c'est pas grand chose. Je vois à ses yeux brillants et à son sourire béat qu'il a aimé la séance. Pourquoi qu'il s'en achèterai pas un, un de ces jours, que je lui demande ? Il saurait pas quoi faire d'une bête humaine. Nan, ce qui l'excite c'est la détresse. Quand elle décompose leur visage, quand elle tombe avec les larmes, et parfois avec le sang quand y en a un qui mérite de se faire rosser en public pour lui apprendre les bonnes manières. C'est ça qu'il aime.

Je comprends, parfois ça me fait triquer, moi aussi.