A Girl Revolt - Tome 3

6. LA VILLE DE CENDRES (Érine)

PARTIE 1

Je sens ma tête tomber sur le côté et le véhicule qui bringuebale sur une route cabossée. J'ouvre les yeux et regarde autour de moi. Cael, la tête posée sur mes genoux dort à poings fermés, tout comme Renée, Palma – qui a la tête allongée sur les cuisses d'Eric – et Victoria, dans les bras de son père. Jasmine donne le sein à son bébé et les hommes ont les yeux rivés sur le pare-brise.

Il fait nuit et je ne distingue aucun arbre aux alentours, comme si nous roulions sur une route perdue au beau milieu d'un désert.

Plus nous avançons vers l'inconnu, plus j'ai l'impression de voir des choses étranges flotter dans les airs, ce qui rend la visibilité mauvaise.

— On se rapproche de Czechia. Ça fait dix heures que tu conduis Cécile. On ferait mieux de changer de conducteur maintenant, déclare Fritz.

— Je peux encore conduire, répond-elle en ralentissant et en prenant l'émetteur. Ben, Dini, Zed, Craig, Simon, on va s'arrêter et vous allez changer de chauffeur.

— Compris, chef ! répondent-ils.

Le véhicule s'arrête et Cécile observe l'écran du tableau de bord avant de reporter son attention sur la route en plissant les yeux, comme si elle recherchait le moindre intrus dans les parages.

— C'est bon, chef ! avertissent les Défenseurs.

Cécile rétrograde et reprend la route, aussi lentement qu'une tortue pourrait avancer. Des minutes plus tard, je commence à apercevoir de hauts murs. De hauts murs comme les pieds des cités, mais ceux-ci semblent plus anciens et débordent de grison. C'est comme si on avait tenté de remonter le mur pour y construire une cité, mais que pour une raison particulière on avait abandonné le projet. D'ailleurs jusqu'à présent, je n'avais jamais entendu parler de Czechia.

Cécile scrute attentivement la route, puis attrape son émetteur.

— Impasse ! s'écrie-t-elle avant de s'arrêter.

Je lève la tête pour mieux observer par le pare-brise et, effectivement, une énorme porte basculante métallique bloque l'accès à la ville. Et sur sa paroi, un énorme écriteau avec une tête de mort et un message : « danger de mort ».

Je déglutis, les yeux rivés sur le message.

— Saturn. C'est quoi cette ville ?

Il fixe l'écriteau puis plisse ses yeux qui deviennent bleus, comme s'il fouillait dans ses données.

— Czechia, construction de la ville abandonnée il y a 37 ans, raison inconnue, répond-il.

— La véritable raison, c'est qu'il y avait un laboratoire où Helka – ou plutôt Dorothy Koekelberg à l'époque – faisait des expériences illégales. Elle voulait construire une cité au-dessus de son labo, malheureusement, il y a eu un incendie et, avec le camp Askaris qui regorgeait d'armes chimiques... Ils ont abandonné le projet, révèle Cécile. La ville est devenue une zone interdite, même pour les Askaris.

— Zone interdite pour les Askaris ? Alors c'est un endroit dangereux ! Nous devrions chercher un autre itinéraire ! manifeste Arasu.

— Le problème, c'est qu'il y a bien trop d'Askaris sur les autres itinéraires, avoue Cécile en regardant son écran.

Elle fixe ensuite Dimitri qui ronfle et lui donne un coup dans les côtes pour le réveiller. Il sursaute et pousse un grognement.

— Nous sommes devant Czechia ! Mais comme tu le vois, il y a une impasse.

Dimitri bat des paupières et observe l'immense porte métallique tout en bâillant.

— Il suffit d'ouvrir la porte.

Cécile s'esclaffe nerveusement et secoue la tête.

— Je te signale qu'il s'agit d'une porte dont le système d'ouverture se trouve à l'intérieur !

— Alors il faut entrer. Programme laboratoire de Czechia ! confie-t-il, énervé.

Cécile hausse les sourcils, puis appuie sur son écran tactile à la recherche du programme de Dimitri.

— Qu'est-ce que... ? commence Cécile en examinant l'écran.

— Plan du laboratoire principal. Ce que tu ignores c'est qu'elles sont revenues ici une dizaine d'années après la destruction de la ville et ont reconstruit le laboratoire... Mais elles l'ont vite abandonné, car leurs expériences ont porté leurs fruits et les Dévihomulus sont devenus encore plus voraces. Maintenant, c'est devenu une sorte de prison pour Dévihomulus. Parfois, ils y lâchent certains avec leur Star Pilot, mais ils n'y pénètrent jamais.

Alors que Dimitri garde tout son calme et son ironie, Cécile devient nerveuse et moi aussi. Si les Askaris n'y accèdent même pas, c'est qu'il doit y avoir des Dévihomulus vraiment, vraiment redoutables. Comme les géants.

— Saturn, reprend Dimitri, le laboratoire se trouve à une centaine de mètres, le poste de contrôle de sécurité se situe au niveau -2. Tu rallumes le groupe électrogène et les postes informatiques pour nous ouvrir cette porte et, bien entendu, celle qui doit se trouver de l'autre côté de la ville à une trentaine de kilomètres d'ici.

Saturn observe la tablette de Dimitri et hoche la tête.

— Saturn ! Je t'accompagne ! m'écrié-je.

— Une minute ! grogne Cécile. C'est trop dangereux. Il faut faire un repérage ! (Elle reprend l'émetteur). Ici Cécile, nous allons devoir entrer dans la ville pour ouvrir la porte, mais avant, nous allons faire un repérage des lieux. Bart, Nolan, vous irez jusqu'à un périmètre de cent mètres, tout droit en longeant cette route.

— Très bien, j'entends.

— Restez en contact ! ajoute Cécile.

— Je peux aller avec eux, déclare Saturn.

— Moi aussi ! s'exclame Eric qui s'est réveillé.

Cécile secoue la tête.

— On attend qu'ils sécurisent le périmètre.

Dans la projection lumineuse des phares, je vois la silhouette de deux Défenseurs se diriger vers les murs.

— Dini, éclaire-les ! intime Cécile.

La lumière éclaire aussitôt les murs. Les Défenseurs pointent leur lance-corde vers le sommet, tirent et grimpent une vingtaine de mètres avant de descendre et de disparaître des projecteurs.

Nous restons dans un silence préoccupant durant un long moment, dix minutes, peut-être quinze, avant qu'un Défenseur annonce :

— Nous sommes devant le laboratoire... Rien à signaler...

— OK, Saturn, tu peux y aller, dit Cécile en tournant la tête. Réto, accompagne-le. Prenez les masques !

— Eh, j'y vais moi aus...

— Attendez ! s'écrie brusquement le Défenseur dans l'émetteur en me coupant la parole.

Mon sang vibre soudainement dans mon corps, comme s'il voulait jaillir et mon cœur martèle contre ma poitrine.