36 partie 3

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— En quarante ans, j'ai fait de ce monde, un monde sécurisant pour les femmes. Certaines sont tristes du sort qu'on réserve à leur bébé Masculin. Certes, je ne peux pas le nier. Alors si elles sont tristes, elles n'ont qu'à changer le monde, comme moi je l'ai fait. Je suis une vieille Dame aujourd'hui. Mon temps est terminé. J'ai fait du mieux que j'ai pu pour ramener la paix. Je laisse maintenant le choix à la génération future.

— Le choix ?

Elle fait un sourire à la caméra et après une longue pause, elle reprend :

— Les hommes ont perdu leur liberté et leur droit, néanmoins, parfois je m'interroge. Certains n'étaient peut-être pas aussi inhumains et ignobles que les guerriers. Certains n'ont peut-être pas eu le choix que de se soumettre à l'autorité et de tuer... J'ai été aveuglée par ma haine, je n'ai pas cherché à savoir. Ai-je été dans le déni ? Aujourd'hui avec l'âge, je me pose sans cesse cette question.

— Et alors ? Où voulez-vous en venir ?

— Certains hommes ne le méritaient certainement pas. Je les ai privés de leur droit le plus sacré. Si je vous en privais également, que ressentiriez-vous ?

La journaliste semble réfléchir.

— Ne pas pouvoir agir selon ma volonté, je trouverais cela ignoble... Ça porterait atteinte à mes droits, à mon humanité.

— Vous le dites clairement. J'ai porté atteinte à l'intégrité de l'homme...

— Mais les hommes ont également porté atteinte à notre intégrité durant la Grande Terreur !

— En effet, mais contrairement à nous, les hommes n'en ont pas conscience, c'est ce qui diffère de la Grande Terreur. Tout cela pour vous dire que je suis tout aussi ignoble que le commandant Syénite.

Un long silence s'installe dans la pièce. Anne Syénite se sert une tasse de thé et en propose à la journaliste qui refuse.

— Est-ce que vous le regrettez ? poursuit la journaliste.

Anne Syénite boit une gorgée de son thé.

— Je ne saurais le dire. Il y a de bons comme de mauvais côtés. Mais tout système a une défaillance. Mon Utopie va peut-être durer quelques années... Un jour certaines jugeront ce monde inapte. Le dominationem pourrait même être utilisé à des fins personnelles, autres que dans le but dans lequel je l'ai construit. (Elle dépose sa tasse de thé.) Je voulais seulement mettre fin aux mauvais traitements que les hommes nous faisaient subir. Depuis quelques années, j'observe que c'est le phénomène contraire qui se produit, les femmes commencent à maltraiter les hommes... Je n'ai jamais voulu cela.

— Que vouliez-vous ?

— Que la guerre cesse, qu'il n'y ait plus de violence, que nous vivions seulement en paix entre nous.

— Nous sommes en paix.

— Pas si certaines commencent à agir comme les hommes jadis. Voilà pourquoi je vous ai contactée Dame Belinski, pour transmettre mon dernier message. Un message que vous sauvegarderez au travers du temps. Un message pour celles qui, un jour, verront que le monde que j'ai créé n'est plus aussi parfait que je l'espérais. Ces temps-ci, je me suis demandé s'il n'y avait pas eu d'autres solutions... Mon désir de vengeance avait pris le dessus. Je n'avais en tête que le dominationem. Je n'ai pas cherché d'autres solutions. Malheureusement, encore aujourd'hui, je ne vois pas quelle autre solution j'aurais pu adopter. Alors je laisse à la génération future cette tâche. Trouvez-moi une autre solution avec laquelle vous n'aurez plus à porter atteinte à l'humanité. Dans quelques années, nous aurons une nouvelle génération d'hommes, des hommes qui n'auront aucun lien avec ceux de la Grande Terreur, des hommes qui n'auront plus à être punis des crimes commis par leurs ancêtres, des hommes que nous pourrions éduquer à la paix et non à la violence. (Elle fait une pause.) Je parlais de choix tout à l'heure... Eh bien, oui, je laisse le choix aux générations futures de mettre fin aux dominationems. Si un jour vous jugez que les hommes méritent qu'on leur fasse confiance, alors libérez-les. Vous mettrez fin à l'Ère du Renouveau et créerez une nouvelle ère où femmes et hommes seront libres de leur choix. Un monde où les femmes et les hommes pourront signer une entente mutuelle, rire, chanter et danser comme le faisaient certains avant la Grande Terreur. (Elle s'humecte les lèvres.) Mon mémoire, A girl utopia... (Elle pouffe de rire.) Je l'ai écrit en date et en heure... Je l'ai publié trop tôt... En le relisant, j'avoue, je suis allée à l'encontre de la morale et si je devais le réécrire, voici ce que j'écrirais dans mes dernières lignes : les émotions, que nous ressentons, sont les plus belles sensations psychophysiologiques que nous pouvons éprouver... Peu importe qu'elles soient positives comme la joie ou la surprise, négatives comme la colère ou la peur, elles sont ce qui fait de nous des êtres humains. En ce moment, je rêve beaucoup de Méo. Vous souvenez-vous, mon grand amour ? Il me demande toujours : « Es-tu contente, Anne ? M'aurais-tu introduit le dominationem si j'étais encore en vie ? » Bien sûr que je ne l'aurais pas fait, parce qu'il n'aurait pas éprouvé d'émotions et de sentiments à mon égard. (Les larmes d'Anne Syénite perlent sur sa joue.) Il dit que je suis devenue comme le général. Les hommes de l'Arès, certes, n'avaient aucun sens moral. Mais aujourd'hui, je me rends compte que j'ai également été immorale. (Elle soupire et essuie ses larmes.) Malheureusement, je ne peux plus changer le monde. Je suis trop vieille, je ne suis plus la Gouvernante, je n'ai plus de pouvoir. Il est vrai que tout est en contradiction avec ce que j'ai écrit, mais... Les hommes ont besoin de leurs émotions pour vivre. Ils ont besoin de leurs émotions pour définir ce qui est bien ou mal. Tout comme les femmes. Le dominationem a été une erreur, même s'il a beaucoup aidé. Mon monde ne deviendra utopique que lorsque les hommes auront pris conscience que ce qu'ils ont fait était inhumain, et lorsque les femmes et les hommes se respecteront et se tiendront enfin la main. (Elle fait un sourire à la caméra.) Mes Dames, Messieurs, hommes et femmes, vous êtes tous humains alors quelle est votre place dans ce monde ? Posez-vous la question.

A Girl Revolt - Tome 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant