65.LE MONDE UTOPIQUE DE HELKA(Érine)

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partie 1

 — Qui je suis ? répète Helka qui semble reprendre son calme. Je suis simplement l'Autorité Suprême et je ne cherche qu'à améliorer les conditions de vie des femmes.

L'odeur disparaît presque. C'est comme si elle émanait de son corps chaque fois qu'elle est en colère, ou énervée, peut-être même angoissée.

— Je ne parle pas de ça. Tout à l'heure vous m'avez demandé si je ne ressentais pas d'odeur étrange. Eh bien, si, la vôtre est inhabituelle par moment ! Maintenant que j'y vois un peu plus clair, dîtes-moi qui, non plutôt ce que vous êtes ! Nous sommes dans un laboratoire, et vous avez inventé ces créatures !

Elle arque un sourcil.

— Moi, inventé ces créatures ? Je te l'ai dit ! Ce sont les rebelles !

— Ça ne marche plus avec moi ! Je connais la vérité ! Les rebelles... enfin non, parce que tout le monde s'est retourné contre vous... Tout le monde se bat pour défendre leur liberté !Vous êtes l'unique rebelle aujourd'hui et vous tentez de reprendre le contrôle ! Et comme vous me l'avez si souvent dit, vous voulez créer une race de Parcaes... ni humain, ni Dévihomulus...

Je plisse les yeux et repense à tout ce qu'elle m'a confié sur cette nouvelle race... Et tous ces clones...

— Ce que j'ai ramené du laboratoire de Cuba, était-ce un de vos clones ? m'enquiers-je.

Elle émet un bruit entre le soupir et l'agacement.

— Bien, je vais te répondre pour ne pas te laisser dans l'ignorance. De toute évidence, je te reprogrammerai et tu oublieras tout ce que je t'ai dit. (Elle croise mon regard.) Oui, c'était un de mes clones... Mon dernier clone humain.

Mon père pousse un grognement soit pour lui faire comprendre qu'il en était sûr, soit parce que ses yeux sont soudainement en train de se révulser pour devenir tout blanc.

— La mort m'a toujours effrayée. Alors pour rester en vie et pouvoir vivre l'éternité, j'ai inventé une toute nouvelle souche de TX Médusa dont j'étais la seule à posséder. Une souche que je m'injectais tous les jours pour pouvoir rester jeune... Malheureusement à force d'en prendre, il y a eu des complications. J'ai failli me transformer en Dévihomulus, mais j'ai pu mettre au point une sorte d'antidote.

Je hausse les sourcils.

— Un antidote ?

— À prendre toutes les douze heures, sans s'arrêter ou sinon, on devient comme eux, à vouloir manger de la chair humaine toute fraîche. Il ne fonctionne pas lorsque l'on a déjà muté en Dévihomulus.

Je grimace, je ne peux pas appeler ça réellement un antidote.

— À voir ta tête, je sais à quoi tu penses... Mais non, ça ne guérira pas ton père. Et prendre un médicament toutes les douze heures, n'est pas agréable. Parfois la frayeur vous envahit parce que vous l'avez oublié et si vous ne le prenez pas, vous voyez la fin arriver ! Je devais continuer mes recherches pour me soigner avant tout ! C'est pourquoi, j'ai utilisé mes clones. J'avais eu la bonne idée de me cloner au cas où mon invention ne marcherait pas. Alors je leur ai transmis le virus et testé toute sorte de vaccins pour mettre un terme à ces mutations génétiques insoutenables... Malheureusement, soit mes clones mourraient, soit elles mutaient en de nouvelles créatures.

Elle affiche étonnement un sourire radieux, comme si elle était fière d'avoir inventé ces nouvelles créatures.

— Je n'avais jamais trouvé le remède... Mais voilà, ta mère, ta véritable mère, Hannah De Blonay y est parvenue... Alors qu'elle avait volé des dossiers sur mes clones... elle a réussi à créer un remède, simplement à partir des petites données que j'avais archivées !

Elle se tait, baisse la tête pour prendre une expression terne, presque colérique. J'imagine qu'elle est jalouse parce que ma mère a réussi là où elle a échoué.

— Pendant plus d'une cinquantaine d'années, j'ai travaillé d'arrache-pied pour trouver le moyen de me soigner... J'ai eu recours à la chirurgie esthétique pour changer d'apparence et tromper le monde... attendant le jour où je trouverai enfin le moyen de ne plus vieillir, de garder une seule apparence, de ne plus vivre dans la peur de me transformer et enfin, le remède se trouvait là, sous mes yeux.

Elle me fixe.

— Toi, oui toi... Tu m'as soignée ! Grâce à ton sang, j'ai crée l'antidote, je suis devenue un être à part entière, ni humaine, ni Dévihomulus. Et mes clones, je veux qu'elles deviennent comme moi... Elles feront régner la loi dans le nouveau monde que je vais construire ! Un monde où vous serez toutes et tous sous mon contrôle.

Mon père grogne et la foudroie du regard, fléchissant les genoux, levant les bras, prêt à se jeter sur elle. Mais je m'interpose, j'ai encore quelques questions.

— Pourquoi faire ça ? Pourquoi prendre le contrôle de tout le monde ?

Elle émet derechef un son entre l'exaspération et le soupir.

— Notre Fondatrice a créé un monde pour les femmes... Un monde dans lequel elles ne seraient plus considérés comme des femmes qui devaient simplement s'occuper de tâches – je dirai- de femmes. Un monde qu'elles ont accepté pour ne plus connaître ni l'humiliation, ni les abus, ni le malheur, ni la disgrâce, ni la guerre. Un monde qu'elles ont modelé pour devenir indépendante et avoir des droits qu'on ne leur avait jamais accordé. Et voilà que des décennies plus tard, elles veulent que ceux qui les ont traitées comme des esclaves sexuelles aient à nouveau des droits ? Réfléchis un peu... Si on laisse faire, dans quelques décennies, ce sera à nouveau le chaos, les femmes et les hommes se disputeront le pouvoir, se feront la guerre et s'entre-tueront ! La loi du plus fort régnera et nous aurons à nouveau un dominant et un dominé ! Tout ça à cause de leur orgueil et de toutes les émotions qu'ils éprouvent. La Fondatrice n'avait pas tord... Ce qui nous détruit, ce sont nos sentiments. Les règles sont transgressées à cause d'eux ! Toi, tu ne t'en souviens pas, mais tu as voulu faire une petite révolte pour que les hommes aient des droits. Ce qui t'en a poussé avant tout, ce sont les sentiments que tu éprouvais peut-être pour ton père, peut-être pour ton Masculin ! Tu as été guidée par tes émotions et non un raisonnement cohérent ! Réfléchis Tueuse 2, dans un monde où les femmes et les hommes seront contrôlés, chacun fera exactement ce que la société attendra d'eux, ils auront exactement les mêmes goûts, les mêmes opinions, les mêmes centres d'intérêt, et le monde sera parfait ! Plus de dispute, plus de violence, plus de tuerie ! Plus de dominant et de dominé ! Et plus que tout, ils seront égaux !

Ces propos me semblent plausibles. Seulement j'ai l'impression que ce serait une erreur de partager son avis. Le vide que l'on ressent et cette Machine... Cette Machine dont les racines se desserrent derechef. Sa tête est totalement libérée, ses yeux aussi froids que la mort me sondent.

« L'Autorité Suprême a raison ! La Fondatrice a créé un monde inégalitaire, même si son ambition était de protéger les femmes, son monde n'était pas utopique. Mais grâce à l'Autorité Suprême, tous auront enfin les mêmes droits, tous se considéreront comme l'égal de l'autre et partageront les mêmes idéaux ! La voilà, la véritable utopie. Celle de l'Autorité Suprême ! »

Je fronce les sourcils et les racines pénètrent dans sa bouche. Elle profite de quelques instants de doute pour en semer davantage. Mais ça ne me touche plus, cette chose qu'on appelle l'âme, je crois que je l'ai toujours. 

A Girl Revolt - Tome 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant