Chapitre 5 (Nolan)

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Le lycée Costa est tout sauf un chef-d'œuvre architectural. Il se résume à une espèce de gros cube de béton dont les façades tombent en lambeaux et qui est posé au milieu d'une petite cour dont les accès grillagés donnent la désagréable impression d'entrer en prison. Il ne manque plus que les matons et les miradors pour que l'illusion soit parfaite. En bref, ça ne fait pas vraiment envie et si je n'écoutais que moi je rebrousserais chemin sur-le-champ pour retourner au confort de ma villa.

Je traverse la cour en empruntant une petite allée en graviers et pénètre dans le hall, celui-là même où j'ai poiroté hier avec mon père le temps que la scolarité daigne nous recevoir pour finaliser la paperasse. Je me fraie un chemin à travers la foule des élèves et joue des coudes pour atteindre le tableau sur lequel est affichée la composition des classes. Je perds de longues minutes à chercher mon nom parmi une bonne centaine d'autres pour finalement constater que je suis en première A. Maintenant, reste à trouver la bonne salle. Pour ce faire, je me dirige vers le plan de l'établissement et l'étudie un instant pour constater qu'il est élémentaire. Les salles cent et quelques sont au premier étage, deux cents et quelques au deuxième étage, et trois cents et quelques au troisième étage. Je n'ai donc pas besoin de faire un gros effort de réflexion pour situer la salle 303 où doit avoir lieu la réunion de rentrée.

Lorsque je me présente devant celle-ci, une trentaine d'élèves attend déjà. J'en déduis que ce sont mes futurs camarades de classe. Je les détaille un à un avec attention. Comme j'ai le sens des priorités, je commence par m'intéresser aux filles. Je me réjouis de voir que plusieurs d'entre elles sont très mignonnes car, j'ai beau être d'un tempérament solitaire, je ne suis pas contre un peu de compagnie de temps en temps. Ensuite seulement, je m'attarde sur les garçons. J'essaye d'identifier les emmerdeurs, c'est à dire ceux qui cherchent les embrouilles et qu'il me faut donc éviter à tout prix pour ne pas risquer des ennuis. Il y en a dans toutes les classes et généralement ils ne brillent pas par leur discrétion.

Les emmerdeurs de ma classe ne tardent pas à se faire remarquer. Ils sont trois, de grands gars plutôt athlétiques, casquette vissée sur la tête et braillant dans le couloir pour se raconter leurs exploits estivaux. Ils m'ont l'air ridicules à faire ainsi les comptes pour savoir lequel d'entre eux a sauté le plus de nanas, a fumé le plus d'herbe, ou soulevé le plus de fonte à la salle de sport. En fait, je trouve affligeant d'en arriver là pour se faire remarquer. D'ordinaire, je me serais d'ailleurs fait un plaisir d'aller le leur dire en personne mais il est plus sage que je reste à ma place. Je connais ma tendance à m'emporter facilement. Or, cette année, il faut absolument que je me tienne à carreau.

Notre professeur principal finit par arriver. Avec son pantalon bouffant, sa chemise verdâtre boutonnée jusqu'au menton et ses cheveux si gras qu'on pourrait croire qu'il s'est vidé un pot de gel sur la tête, il m'a l'air bien empoté. Son cas ne s'arrange pas lorsqu'il se met à parler pour nous inviter à le suivre à l'intérieur de la salle. Sa voix vire dangereusement dans les aigus à tel point qu'on dirait qu'il s'est fait greffer une cornemuse à la place des cordes vocales. L'écouter parler des heures durant doit être un véritable supplice.

Nous entrons dans la salle et, comme toujours, je vais m'asseoir au dernier rang, non loin des trois emmerdeurs qui commentent aussitôt ma présence. J'ai très envie d'aller les saluer comme il se doit, histoire de leur donner un petit aperçu de mon caractère explosif mais je me retiens. Rester calme, c'est le maître-mot, la seule chose qui doit m'importer. Ils ne valent pas la peine que je me fasse virer une nouvelle fois.

Juste un mec bienOù les histoires vivent. Découvrez maintenant