Chapitre 136 (Nolan)

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Cela fait des heures que j'attends dans cette salle aux murs bleu délavé où règne un silence de cathédrale que seul le crépitement d'un néon fatigué vient contester. Le médecin nous a prévenus que l'opération serait longue mais je n'imaginais pas que ce serait à un tel point. Il faut dire que dans cette salle les secondes semblent devenir des minutes, les minutes des heures, et les heures des jours entiers. C'est comme si le temps y a été ralenti afin d'ajouter encore à l'angoisse.

Plus je me refais le film de la soirée et plus je me sens coupable. Je ne peux m'empêcher de penser que si je n'avais pas provoqué mon père aussi violemment, il n'aurait pas fait ce malaise cardiaque. Dans sa lettre, il sous-entendait que me perdre le tuerait mais je ne croyais pas que ce serait réellement le cas. Mon père, qui n'a jamais eu le moindre problème de santé, s'écroule après que je l'aie menacé de m'en aller pour ne jamais revenir. Ça ne peut pas être un hasard, c'est à cause de moi s'il est entre la vie et la mort. Pire encore, alors qu'il était étendu devant moi, j'ai été incapable de faire quoi que ce soit pour lui porter secours. Au lieu de l'aider, je suis resté planté là, à pleurer sur son sort. Si mon père peut encore se battre pour rester dans ce monde, c'est uniquement grâce au sang froid d'Amandine et de Kimi qui ont su lui porter assistance quand moi j'étais totalement paralysé.

Leur soutien m'est précieux dans ces instants douloureux. Quand je leur confie ma culpabilité, elles tentent de me réconforter en me disant que le fait de voir son père faire un malaise est très traumatisant et qu'il est donc tout à fait compréhensible que je me sois retrouvé en état de choc et que je n'aie pas été en mesure d'intervenir. J'aimerais penser qu'elles ont raison mais je n'y parviens pas.

Je m'en veux tellement. Comme toujours, j'ai réagi de manière impulsive. Je n'ai retenu de la lettre de mon père que l'aveu de sa responsabilité dans l'accident de ma mère et j'ai fait abstraction de tout le reste. Pas une seconde, je ne me suis mis à sa place. Pas une seconde, je n'ai essayé d'imaginer combien me dire la vérité devait être dur pour lui. Comment dire à son fils qu'une négligence que l'on a commise a coûté la vie à sa mère ? Certes, mon père a fait une terrible erreur en consultant son téléphone au volant. Mais, cette erreur-là, il l'a payée au centuple. J'ai perdu ma mère, mais lui il a perdu la femme qu'il aimait, l'amour de sa vie. Et cette lettre que j'ai trouvée témoigne de l'immense souffrance que cela a été pour lui.

J'ai dit à mon père qu'il n'était plus rien pour moi mais à présent que je risque de le perdre, je me rends compte qu'en fait c'est moi qui ne suis rien sans lui. Je ne peux pas le perdre lui aussi. Je refuse de le perdre. S'il venait à mourir, je ne m'en remettrais pas. Me relever après la mort de ma mère a été un combat de tous les instants, je ne me sentirais pas le courage de livrer ce combat une seconde fois.

Faites qu'il s'en sorte. Faites qu'il vive.

Il est près de cinq heures du matin quand le chirurgien fait enfin son retour dans la salle d'attente. Je bondis de ma chaise pour venir à sa rencontre, suivi de près par Kimi et Amandine.

_ Alors ? Comment va-t-il ? je le questionne à brûle-pourpoint.

J'ai les yeux rivés sur son visage dans l'espoir d'y trouver un indice sur sa réponse. Mais ce dernier est totalement inexpressif. Après plusieurs secondes d'un suspense intolérable, le médecin me dit :

_ Votre père a eu chaud mais il va s'en sortir. C'est une chance que les gestes de premiers secours aient été correctement pratiqués avant l'arrivée des pompiers. Sans cela, nous n'aurions rien pu faire pour lui.

En l'entendant prononcer ces quelques mots, j'éprouve un profond soulagement et une immense gratitude envers Amandine et Kimi. Elles ont sauvé la vie de mon père. Je ne l'oublierai jamais.

Il nous faut encore patienter plusieurs heures avant d'être autorisés à aller le voir dans sa chambre. Mais cette nouvelle attente est beaucoup moins éprouvante maintenant que je sais que papa est hors de danger.

Arrivés devant sa chambre, Amandine et Kimi me proposent d'y entrer seul dans un premier temps. Je pousse la porte et me dirige vers son lit. Il est encore faible mais il trouve malgré tout la force de m'adresser un grand sourire quand je m'approche de lui. Je mets ma main dans la sienne et lui dis :

_ Tu ne me fais plus jamais un coup pareil papa. Tu m'as filé la peur de ma vie. J'ai bien cru que tu allais me laisser tout seul.

Il sourit encore et me répond dans un murmure car ses cordes vocales portent les séquelles d'une intubation qui a duré plusieurs heures :

_ Jamais je ne te laisserai, et c'est promis je ne le referai plus. De toute façon, je n'ai pas trouvé cette expérience de mort imminente très plaisante.

Ce trait d'humour finit de me rassurer. Mon père semble aller bien. Son visage fatigué se fait plus grave quand il ajoute :

_ Je suis vraiment désolé Nolan. Je n'aurais jamais dû te mentir...

_ Non, c'est moi qui suis désolé papa. Je n'aurais pas dû te dire toutes ces choses horribles que je ne pensais pas, ni te menacer de partir. On est une équipe tous les deux, on ne peut rien l'un sans l'autre, hein ? Et s'il est vrai que j'aurais préféré que tu me dises la vérité sur l'accident, je comprends que cette vérité ait pu te faire peur au point de te sembler indicible. Il va me falloir un peu de temps pour digérer tout ça, mais je crois que j'arriverai à te pardonner. Il y a juste une promesse que tu dois me faire.

Je vois que mon père voudrait me dire beaucoup de choses mais son état d'épuisement ne se prêtant pas aux longs discours, il se contente finalement de me demander :

_ Tout ce que tu veux. Dis-moi, quelle est cette promesse ?

_ Plus jamais de mensonge entre nous, d'accord ?

_ D'accord, je te le promets.

Je me penche sur lui et j'attends qu'il me fasse signe que les câlins ne sont pas contre-indiqués après une opération à coeur ouvert pour le prendre dans mes bras. Quelques instants plus tard, Amandine et Kimi nous rejoignent dans la chambre.

Tous les quatre, nous sommes désormais liés par une complicité nouvelle.
Ensemble, nous avons vu la mort en face et nous l'avons vaincue. Ensemble, nous avons permis à la vie de triompher.
Ensemble, nous formerons bientôt une famille.

Bon réveillon à tous et à samedi pour l'épilogue de cette histoire :)

Juste un mec bienOù les histoires vivent. Découvrez maintenant