Chapitre 8 (Nolan)

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Sitôt que mon père franchit le seuil de la porte, il me questionne d'un air empreint d'une certaine anxiété, comme s'il craignait que je me sois déjà attiré des problèmes : 

_ Nolan, je suis rentré. Alors cette première journée ?

Le temps de se défaire de ses chaussures et le voilà qui fait son apparition dans le séjour où je me trouve affalé sur le canapé depuis que je suis rentré de cours, soit depuis près d'une bonne heure déjà.

_ Longue, interminable même, je lui lance en retour dans un soupir et sans perdre des yeux les informations sportives qui tournent en boucle à la télévision.

Il vient s'asseoir à côté de moi et s'exclame :

_ Comme une rentrée des classes quoi.

_ En effet.

_ J'étais comme toi à ton âge. Je détestais ça. Et sinon tu as fait des rencontres ?

Je lui jette un regard sans équivoque. Alors, il ajoute :

_ Je vois... Mais tu n'as pas...

Je le coupe aussitôt, furieux car je devine où il veut en venir :

_ Non, je n'ai frappé personne si c'est ce que tu veux savoir. Il faut vraiment que tu arrêtes avec ça. Combien de fois vais-je devoir te répéter que tout ça est derrière moi ?

_ Pardon, l'essentiel c'est que tout se soit bien passé, me répond-t-il sur un ton de mea-culpa.

_ Bien passé, il ne faut pas exagérer. Je me suis quand même bien fait chier...

_ Bon, tu sais quoi ? Je vais te préparer un petit remontant, histoire que tu cesses un peu de te lamenter. Alors dis-moi, tu veux manger quoi ? me propose-t-il tout en se levant du canapé.

Je me redresse puis, pensant avoir mal entendu, je lui demande :

_ C'est vrai ? Je choisis ce qu'on mange ?

_ Puisque je te le dis, me confirme-t-il.

Ravi, je m'empresse de lui passer commande :

_ Très bien, dans ce cas, ton hamburger fait maison ?

_ Ça marche.

_ Cool, je dis avec enthousiasme.

Il est rare que mon père me fasse la faveur de me laisser choisir le menu du repas. D'ailleurs depuis deux jours qu'on est arrivé à Nice, je le trouve étonnamment conciliant avec moi. A tous les coups, il s'en veut de m'avoir contraint à déménager et il s'oblige à être sympa avec moi pour se faire pardonner. De la manipulation, voilà ce que c'est. Ni plus ni moins que de la manipulation. Cela dit, ça ne me gène pas. Nous avons vécu ces derniers mois à couteaux tirés, toujours en train de nous battre l'un avec l'autre et incapable du moindre échange constructif. Alors si ce changement d'air peut au moins avoir l'avantage de nous faire nous rapprocher, je ne vais pas cracher dessus. Mon père est la seule famille qu'il me reste et j'aimerais autant qu'on arrive à s'entendre.

_ Par contre, pour les hamburgers, c'est à une condition qui est non négociable, ajoute-t-il ensuite.

_ Je me disais aussi que c'était trop beau. C'est quoi cette condition ?

_ Tu mets les mains à la pâte. Il n'y a aucune raison que ton vieux père se tape tout le boulot pendant que tu restes les doigts de pied en éventail sur le canapé.

_ Non, s'il te plaît papa. Je suis crevé là, je proteste.

_ Et moi je ne suis pas crevé peut-être ? J'ai vendu des régimes minceur toute la journée je te signale.

Je ne peux réfréner un sourire.

_ Ah tiens puisque tu en parles. Comment s'est passée ta croisade contre les kilos en trop ? je lui demande en allant le rejoindre près du plan de travail de la cuisine.

_ Et bien figure-toi que ces plats cuisinés se vendent comme des petits pains ! Les gens sont vraiment étranges quand on y pense. Ils refusent de suivre les conseils de leur nutritionniste qui est pourtant fort de douze ans d'études mais ils se font berner par un spot publicitaire de deux minutes à la télé.

_ C'est plutôt parce-que tu es un bon vendeur qu'ils achètent si tu veux mon avis.

Mon père me fixe un instant avec de grands yeux écarquillés et me dit :

_ Je rêve ou tu viens de me faire un compliment ?

Je me reprends aussitôt :

_ Oui enfin ce que je voulais plutôt dire, c'est que tu es un menteur professionnel qui n'a aucun scrupule à exploiter la crédulité publique pour se faire de l'argent sur le dos des gens. 

_ L'espace d'un instant, je me suis demandé où était passé mon rebelle de fils.

_ Rassure-toi. Il est toujours là, prêt à faire de ton quotidien un enfer.

_ Ça va alors. Je suis soulagé, tu n'imagines pas !

Il prépare les tranches de pain de mie tandis que je coupe les tomates. Je n'en reviens pas. On est en train de cuisiner ensemble. Si ma mère nous voyait elle serait sidérée. D'ailleurs, je le suis moi-même.

_ Au fait, tu commences à quelle heure demain ? me demande mon père tandis qu'il garnit le pain de viande hachée.

_ A 10h, j'ai sport, je lui réponds.

_ Je peux te déposer si tu veux ? Je n'ai aucun rendez-vous de prévu dans la matinée.

_ Non, c'est bon. Je vais prendre le bus en attendant de récupérer ma moto.

_ Sûr ?

_ Absolument.

_ Tu ne me dis pas ça parce-que tu as honte de moi au moins ? me questionne-t-il d'un air amusé.

_ Non, pas du tout. C'est juste que je tiens à ma réputation. L'image du fils à papa, très peu pour moi.

_ Bien, c'est comme tu veux. Si tu changes d'avis, tu me dis.

_ Je ne changerai pas d'avis.

_ Je sais. Je disais ça comme ça, me répond-t-il dans un sourire.

Juste un mec bienOù les histoires vivent. Découvrez maintenant