Chapitre 1 (Nolan)

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Mon père est un VRP. En clair, il vend tout un tas de trucs (la plupart du temps sans intérêt) à tout un tas de personnes pour le compte de grandes entreprises qui ont le mérite de la payer grassement pour le faire. L'avantage, c'est qu'il ne va pas avoir besoin de chercher un nouveau travail. Il va continuer à faire la même chose que ce qu'il faisait à Paris mais à Nice. L'avantage aussi, c'est qu'il va continuer à très bien gagner sa vie ce qui va nous permettre d'habiter une belle villa sur les hauteurs de la ville. 220 mètres carrés tout confort, avec terrasse donnant sur la mer et piscine ; de quoi rendre le quotidien un peu plus supportable.

Sitôt que nous avons fini de défaire nos bagages, mon père me dit :

_ Allez, viens. Je t'emmène en ville manger une glace pour faire la paix. Ça te dit ?

_ Non merci, j'ai passé l'âge de manger une glace avec mon père.

_ Parce-qu'il y a un âge pour ça ?

Je ne réponds pas alors il ajoute :

_ On peut aller se boire une bière si tu préfères ? C'est de ton âge ça ?

Mon père dans toute sa splendeur. Pas méchant mais d'une maladresse consternante parce-qu'incapable de s'occuper de quelqu'un d'autre que de lui-même. A sa décharge, ce n'est pas simple de se retrouver presque du jour au lendemain à devoir élever seul un garçon de 17 ans, et ça l'est encore moins de s'occuper d'un garçon comme moi car j'ai conscience d'avoir un caractère un peu compliqué. Que dis-je compliqué, en fait je suis même du genre infernal. Cela dit, c'est un peu de sa faute car, après tout, c'est lui qui m'a conçu comme ça.

_ Allez, on file ! tranche-t-il en voyant que je reste silencieux.

Après quoi, il me confie :

_ De toute façon, il faut qu'on aille faire un tour au lycée.

_ C'est demain la rentrée, je le corrige.

_ Certes, mais on doit finir de t'inscrire.

_ Passionnant, on va s'éclater... dis-je avec ironie.

Mon père me traîne donc jusqu'au lycée. Une bonne demi-heure d'attente à l'accueil puis une autre de perdue à la scolarité, et enfin nous quittons l'établissement. Me croyant au bout de mes peines, je m'écris :

_ Débarrassé, on rentre maintenant !

_ Pas tout de suite, me calme mon père.

_ Comment ça pas tout de suite ?

Il se mure quelques instants dans le silence, ne sachant visiblement pas trop comment s'y prendre pour m'annoncer ce qu'il a en tête. Puis, il finit par se jeter à l'eau, non sans appréhender quand même ma réaction :

_ Je t'ai pris un rendez-vous avec un psy cet après-midi.

_ Un quoi ? je demande, manquant de m'étouffer.

_ Un psychologue. Tu sais ce que c'est au moins ?

_ Évidemment que je sais ce que c'est. Tu me prends pour un démeuré ou quoi ? En revanche, ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi tu m'as pris rendez-vous avec un psy sans même m'en parler ? Et pourquoi maintenant alors qu'on vient à peine d'arriver à Nice ?

_ Parce-que je pense que tu en as besoin. Et je ne t'en ai pas parlé parce-que si je l'avais fait tu n'aurais jamais voulu y aller. Or je tiens à ce que tu vois un professionnel avant de reprendre les cours. Et comme à Paris il était impossible d'obtenir un rendez-vous avant plusieurs mois, je t'ai pris un créneau ici aujourd'hui.

_ C'est quoi ces conneries ? Je n'ai pas besoin d'un psy.

_ Écoute, au vu de ce qui s'est passé l'année dernière, je me dis qu'une aide extérieure serait la bienvenue.

_ Ce qui s'est passé l'année dernière ne se reproduira pas. Je vais mieux maintenant. Je me contrôle.

J'ajoute d'un air catégorique :

_ Non, franchement, c'est n'importe quoi. Je refuse de parler à un de ces charlatans.

_ D'abord, ce ne sont pas tous des charlatans. Et je suis ravi de savoir que ça ne te fait pas plaisir mais, en fait, je ne te laisse pas le choix.

_ On a toujours le choix a dit un grand philosophe, je proteste.

_ Et bien ce grand philosophe se trompait. Tu es encore mineur alors j'ordonne et toi tu fais.

_ Tu fais chier...

_ Et surveille ton langage.

_ Oh je t'en prie, tu ne vas pas te mettre à me reprendre chaque fois que j'emploie un terme familier ?

_ Et pourquoi pas ?

_ Putain...

_ Nolan !

_ C'est pas vrai, quel enfer...

Mon père s'amuse de me voir pousser un long soupir. Puis, il me questionne tandis que nous montons dans la voiture avec un ton cette fois beaucoup plus léger :

_ Au fait, c'est qui déjà le philosophe qui a dit qu'on a toujours le choix ?

_ Le philosophe ? Je ne sais pas. En fait, je sors cette phrase du film Hancock.

_ Tu es con... s'amuse mon père.

_ Papa, tu vas me faire le plaisir de surveiller ton langage, je le reprends feignant de le réprimander.

Il éclate de rire et j'en fais de même. Ainsi, nous partageons un bref instant de complicité, c'est si rare entre nous.

Juste un mec bienOù les histoires vivent. Découvrez maintenant