Juste un mec bien

Chapitre 24 (Nolan)

Je suis en train de regarder une fameuse série espagnole quand mon père traverse la pièce avec sa valise. Alors qu'il passe devant moi, il se contente de me dire d'un ton laconique :

_ Je reviens demain soir.

Il n'attend même pas ma réponse et quitte la villa. Quant à moi, je me contente de le regarder filer, le coeur lourd de savoir qu'il part fâché contre moi.

Je n'ai de cesse de repenser à notre discussion et en particulier à ce moment où il m'a dit être un mauvais père. Il a tort de penser ça. Il n'est pas le père parfait, c'est sûr, mais je sais qu'il fait de son mieux dans ces circonstances difficiles. Non, le problème vient plutôt de moi. C'est moi qui suis un mauvais fils.

Je consacre l'après-midi à remuer dans ma tête des pensées négatives. Le soir venu, quand la sonnerie de l'entrée arrache enfin la villa à son silence, je prends ça comme une libération. Sortir un peu va me faire le plus grand bien, il n'y a rien de telle qu'une soirée pour se remettre le moral à l'endroit.

J'ouvre la porte et trouve comme prévu Simon sur le seuil. Je lui ai proposé que nous nous rendions ensemble à la fête.

_ Salut ! me lance-t-il dans un sourire.

Voyant que je ne lui réponds pas et que je me contente de le dévisager d'un air perplexe, il s'enquiert :

_ Qu'est-ce qu'il y a ? Tu en fais une tête ?

Il est vraiment sérieux en me posant cette question ?

_ Simon, tu t'es vu ? je lui dis, feignant l'évidence.

Comme il ne semble toujours pas voir où est le problème, j'ajoute :

_ Tu sais ce que j'ai pensé en te trouvant habillé comme ça sur le pas de ma porte ?

_ Non, quoi donc ?

_ Que quelqu'un était mort.

_ Ah bon mais pourquoi ? me demande-t-il encore, un peu circonspect.

_ Parce-que tu ressembles à un employé des pompes funèbres avec ton costume noir tiré à quatre épingles.

_ Ah... Ce n'était pas vraiment l'effet recherché... dit-il d'abord avec un certain embarras avant d'essayer tant bien que mal de justifier l'injustifiable. Comme c'était une fête, j'ai pensé qu'il fallait bien s'habiller...

_ Oh mais tu es parfaitement bien habillé... pour aller à un enterrement. Or nous allons à une fête lycéenne. Ce n'est pas vraiment la même ambiance. En principe, c'est censé être un peu plus cool... Tu vois ?

Il se perd un instant dans ses pensées, comme pour chercher une solution à sa faillite vestimentaire. Au bout de quelques secondes, il s'écrit d'un air ravi, persuadé d'avoir trouvé la parade :

_ Bien, dans ce cas, je n'ai qu'à retirer la cravate. Ça fera plus cool comme ça !

Je ne peux m'empêcher de me prendre la tête à deux mains. Le pauvre, il n'est pas méchant mais, quand même, ce qu'il peut être désespérant quand il s'y met. D'ailleurs je me demande bien pourquoi je l'aide... Parce-qu'il a sauvé ma scolarité, c'est vrai. Et peut-être aussi parce-que j'aime les causes perdues. Il faut dire que moi-même je suis une cause perdue à ma manière...

_ Suis-moi, lui dis-je, en l'invitant à entrer. Il n'y a pas que la cravate que tu vas enlever.

_ Comment ça ? me questionne-t-il, trahissant une certaine inquiétude.

_ Suis-moi je te dis. Je vais te prêter des fringues histoire que tu aies l'air moins con.

_ Parce-que j'ai l'air con ?

Je pousse un soupir d'exaspération qui le convainc de ne pas insister. Après quoi, je le conduis jusqu'à ma chambre. Je fouille quelques secondes dans mon armoire et finit par lui lancer des vêtements plus adaptés pour faire la fête.

_ Il faut vraiment que je mette ça ? Non parce-que ce n'est pas trop mon style... dit-il en s'en emparant. 

_ Justement, tu vas changer de style. C'est fini le look père de famille.

_ Mais...

Il tente de protester mais je le coupe de nouveau :

_ Il n'y a pas de mais qui tienne. Tu veux la séduire cette fille qui te plaît ou pas ?

_ Euh oui... J'aimerais bien mais je ne suis pas sûr de...

_ Et elle est à la soirée ce soir ? je poursuis de plus belle.

_ Oui je crois...

_ Bon et bien si tu veux la séduire commence par mettre ça.

Comme je vois qu'il reste planté devant moi à me regarder d'un air pantois, j'ajoute :

_ Allez et que ça saute ! Qu'est-ce que tu attends ?

Il s'exécute enfin et enfile laborieusement le jean que je viens de lui prêter, manquant même de trébucher en essayant d'y rentrer la jambe. Je commence à douter que l'emmener à cette soirée avec moi soit une bonne idée...

_ Simon ?

_ Oui ? me dit-il alors qu'il est toujours en train de se battre avec mon pantalon.

_ Ôte-moi d'un doute, tu es déjà sorti ?

_ Sorti où ?

_ En soirée je veux dire. Tu y es déjà allé ?

Il marque un instant d'hésitation avant de s'écrier :

_ Oui bien sûr ! Pour qui tu me prends ?

C'est bien ce que je pensais. Il n'est jamais allé en soirée. Au fond, je le savais déjà. Pour se pointer en costard, il faut vraiment être à côté de la plaque.

Apparement, cette soirée chez Kimi sera donc une grande première pour lui. Pourvu que ça ne tourne pas à la catastrophe...