Un bus bondé nous emmène sur les hauteurs de Nice. Avec Kimi, nous remontons ensuite à pied la rue qui mène jusqu'à chez elle et une fois parvenu sur le seuil de sa maison, nous demeurons un instant à nous fixer avec une étonnante complicité. C'est un peu comme si ce que nous venions de vivre avait créé un lien entre nous qui sinon n'aurait jamais pu exister. Et c'est à peine si je suis surpris quand, alors que je suis sur le point de partir, elle me retient :
_ Simon, attends. Je sais que tu as déjà fait beaucoup pour moi mais j'aimerais encore te demander un service.
_ Un service ? Bien sûr, lequel ? je la questionne en retour.
_ Tu ne veux pas rester un peu ? Ma mère est absente et je ne veux pas passer la soirée seule. J'appellerais bien Stella mais comme elle me connaît par cœur, elle verrait tout de suite que je ne vais pas bien. Elle me demanderait pourquoi et je serais obligée de lui dire au sujet de mon père, ce que je préfère ne pas faire pour l'instant. Et vu que tu es le seul au courant, je me disais que, peut-être, tu voudrais bien me tenir compagnie.
Elle ajoute dans la foulée, comme pour se justifier :
_ En fait, j'ai un peu peur que ma crise d'angoisse recommence et ça me rassurerait d'avoir quelqu'un près de moi.
Elle s'interrompt plusieurs secondes et, visiblement très gênée de me faire une telle requête, elle balbutie encore :
_ Mais si tu ne peux pas rester je comprends parfaitement. D'ailleurs, tu as sans doute mieux à faire que de veiller sur moi.
_ Je n'ai rien de mieux à faire. Je peux rester un moment si tu veux, je lui dis simplement en retour.
Elle accueille ma réponse d'un large sourire que je lui rends aussitôt, et elle m'invite à entrer.
Tandis que je la suis jusque dans le séjour de la maison, je prends pleinement conscience de la situation surréaliste dans laquelle je me trouve. Si on m'avait dit que je passerais la soirée avec Kimi après les évènements de la colline du château, je ne l'aurais jamais cru. Bien sûr, je ne me fais pas d'illusions. Je sais que je dois ma présence ici à des circonstances exceptionnelles et que Kimi ne m'aurait jamais convié chez elle si je ne m'étais pas trouvé avec elle au moment de sa rencontre avec son père. Mais peu importe car je suis très heureux de pouvoir être là pour elle après le moment pénible qu'elle vient de traverser.
Plus que d'une compagnie, Kimi avait besoin d'un confident. J'ai tenté de tenir ce rôle du mieux que je le pouvais. Durant de longues minutes, elle a vidé son sac. Elle m'a tout dit de ce père qui n'a jamais voulu d'elle, qui, un temps, a pris sur lui pour l'élever avant de l'abandonner. Elle m'a parlé du vide immense qu'il a laissé dans sa vie quand il l'a quittée, de la souffrance qu'elle a ressentie cet après-midi en découvrant qu'il avait refait sa vie et qu'il avait eu d'autres enfants, de la douleur que lui cause encore aujourd'hui cet homme qu'elle ne peut, malgré tout, s'empêcher d'aimer car aussi injuste et cruel avec elle soit-il, il n'en demeure pas moins son père. Et puis elle a évoqué sa mère. Elle m'a dit combien elles étaient proches toutes les deux et m'a décrit le lien de confiance qui les unissait. Elle m'a fait part de sa désillusion de voir ce lien se rompre quand sa mère lui a avoué être au courant que son père avait refait sa vie alors même que pendant des années elle avait prétendu qu'il était parti parce-qu'il ne voulait pas d'enfant et qu'il se sentait incapable d'assumer la charge de sa fille. Elle m'a confié beaucoup lui en vouloir pour cela et ne pas savoir si elle sera en mesure de l'excuser de lui avoir menti.
Durant tout ce temps où elle m'a déballé ce qu'elle avait sur le coeur, je n'ai pas dit un mot, me contentant de lui prêter l'oreille attentive qu'elle semblait réclamer. Et ce n'est que lorsqu'elle a sollicité mon avis que je le lui ai donné, avec humilité et sincérité :
_ Ta mère a fait ce que toutes les mères qui aiment leur enfant font, elle a voulu te protéger et c'est pour cette raison qu'elle t'a menti au sujet de ton père. C'était sans doute malvenu, maladroit. C'était sûrement une erreur. Mais tu peux être certaine que si elle a agi ainsi, c'est parce-qu'elle t'aime et qu'elle ne supporte pas l'idée que tu souffres encore plus que ça n'est déjà le cas. Ce qu'il y a entre vous est bien trop précieux pour que tu puisses envisager d'y renoncer. Je pense vraiment que tu dois lui pardonner ce mensonge car dans le cas contraire vous seriez très malheureuses toutes les deux. Quant à ton père, je ne sais pas quoi te dire parce-qu'en fait je n'arrive pas à concevoir qu'un homme puisse témoigner une telle indifférence à son propre enfant. Mais ce dont je suis sûr, c'est que ça n'est pas ta faute. Tu ne dois surtout pas te sentir coupable. Tu es belle, brillante, joyeuse. Tu es une fille extraordinaire, une fille telle que tous les parents rêverait d'en avoir. Et si ton père n'est pas capable de voir tout ça, tant pis pour lui.
Kimi reste d'abord silencieuse quelques instants. Puis, elle me répond simplement :
_ Merci Simon.
_ Merci pour quoi ? je lui demande.
_ Pour tout. Pour m'avoir soutenue. Pour m'avoir écoutée. Pour tes paroles réconfortantes. Et aussi pour ta déclaration sur la colline du château.
_ Aussi pour ma déclaration ? je relève, surpris de l'entendre me dire ça.
_ Oui, c'était une belle attention de ta part et je regrette de t'avoir mal traité comme je l'ai fait.
Étant prompt à l'emballement, je me prends à rêver. Serait-elle en train de changer d'avis ? S'apprête-t-elle à me confier qu'en réalité elle éprouve elle aussi de l'amour pour moi ?
Malheureusement, elle coupe court à cette hypothèse quand elle poursuit :
_ J'aurais pu m'y prendre autrement pour te dire que je ne t'aimais pas. Je m'en veux si je t'ai fait de la peine, d'autant que maintenant que je te connais un peu mieux je me rends compte que tu es vraiment un garçon super.
_ C'est oublié, ne t'en fais pas, je feins en tâchant d'être convaincant alors qu'en réalité rien n'est oublié car mes sentiments pour elle n'ont pas disparu.
Nous partageons un sourire puis elle me questionne, changeant complètement de sujet :
_ Tu aimes la pissaladière ?
_ Je suis niçois donc...
_ Donc tu aimes. Évidemment, quelle question ! Il en reste de ce midi, si tu veux on peut la partager ? Après ce que tu as fait pour moi, je peux bien t'offrir le dîner, ce serait la moindre des choses.
J'hésite un instant alors elle insiste, en prenant soin de couvrir son visage d'un air suppliant qui me ferait lui donner le bon Dieu sans confession :
_ S'il te plaît, j'ai vraiment besoin de compagnie ce soir.
_ D'accord, laisse-moi juste prévenir mes parents que je ne mange pas avec eux, je finis pas céder.
La suite dès samedi ! ;)
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Juste un mec bien
RomanceDepuis le décès tragique de sa mère, Nolan doit faire avec une colère et une agressivité qui ne le quittent jamais et qui lui ont déjà valu d'être viré de son ancien lycée. Contraint par son père de quitter Paris, la ville dont il est originaire, po...