Ce monsieur Féri ne manque pas de culot. Il en faut pour oser se pointer chez moi après avoir entraîné mon fils à la boxe à mon insu. Il l'a même emmené à un tournoi. Je n'en reviens pas, et moi qui pensais qu'il était parti en randonnée avec son amoureuse. Je suis aussi méfiant et dur en affaires que je suis naïf quand il s'agit de mon fils. Nolan est ma faiblesse, il l'a toujours été et je crois qu'il le sera toujours.
Depuis la mort de Nora, il est ma seule famille. C'est pour lui que je trouve la force de me lever le matin malgré le chagrin qui me tenaille, pour lui que je vends ces saloperies de régimes minceur, pour lui que je continue à vivre. Il est tout ce qu'il me reste, et je ne veux pas le voir se faire massacrer sur un ring. Oh bien sûr, je sais qu'il a du répondant, qu'il est capable de se défendre. Mais tout de même, aux championnats de France il ne va pas affronter des enfants de choeur. J'ai peur pour lui, je crois qu'au fond c'est pour ça que je m'oppose à ce qu'il boxe.
Cela dit, je sais bien que Féri a raison lorsqu'il argue que la boxe n'a rien d'un sport de brutes épaisses, sans quoi je ne considérerais pas le combat entre Sugar Ray Leonard et Marvin Hagler en 1987 comme le plus grand moment de sport auquel j'ai eu la chance d'assister. Je sais qu'il a raison, aussi, quand il soutient que ce sport apporte beaucoup à Nolan, j'ai moi-même été témoin de ses progrès spectaculaires ces derniers temps. Je sais qu'il a raison, enfin, quand il dit que mon fils rêve de faire ces championnats de France. Et tout bien réfléchi, non, je ne veux pas être celui qui le privera de ce rêve.
Alors quand Nolan rentre des cours, je l'invite à me rejoindre dans le séjour pour que nous discutions. Croyant que je m'apprête à lui faire d'énièmes reproches et se sentant le devoir de se justifier, il me lance :
_ Je rentre tard mais ce n'est pas parce-que j'ai été au club de boxe. Je suis resté étudier mes cours à la bibliothèque.
Avant d'ajouter dans l'intention manifeste de s'éclipser :
_ D'ailleurs, je ferais mieux d'aller continuer à travailler dans ma chambre.
Tandis qu'il s'éloigne déjà, je le retiens :
_ Attends un instant s'il te plaît. J'aimerais qu'on parle tous les deux.
D'un pas prudent, il revient vers moi. Il croise les bras comme le ferait un gosse sur le point de se faire réprimander et me demande d'une voix mal assurée :
_ Très bien, de quoi veux-tu qu'on parle ?
J'ignore sa question et je lui dis plutôt :
_ Figure-toi que j'ai reçu de la visite aujourd'hui.
_ De la visite ? relève-t-il avec un air intrigué. De qui ?
Je fais durer le suspense quelques instants.
_ D'un certain Monsieur Féri.
En l'entendant prononcer le nom de son professeur (ou de son coach, je ne sais plus comment il faut le considérer), Nolan se fige, le visage décomposé. Il semble traverser par une soudaine inquiétude, celle de savoir comment s'est passée notre entrevue, mal doit-il penser.
_ Féri, vraiment ? bredouille-t-il, timidement.
_ Il est venu pour me convaincre de te laisser boxer. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il a mis du coeur à l'ouvrage. Il ne tarit pas d'éloges sur toi, tu sais. Il pense que tu peux faire une grande performance aux championnats de France et que j'aurais tort de t'empêcher d'y participer.
Nolan est surpris d'apprendre que son coach est venu à ma rencontre pour vanter ses mérites. Il reste silencieux quelques secondes et finit par me demander, animé d'un espoir retrouvé :
_ Et alors, tu as réagi comment quand il t'a dit tout ça ?
Je douche cet espoir aussi net quand je lui confie :
_ Et bien je l'ai fichu dehors, lui rappelant que je suis ton père et que c'est à moi seul de juger de ce qui est bon pour toi.
_ Oh... bafouille Nolan en arborant la mine défaite de celui qui vient d'essuyer une terrible déception.
Je laisse régner un silence pesant l'espace de quelques secondes puis j'ajoute :
_ Mais son joli discours m'a tout de même donné à réfléchir.
Nolan lève les yeux de ses chaussures pour les reposer sur moi.
_ Réfléchir, c'est-à-dire ?
_ Je vais te poser une question, une question toute simple à laquelle tu vas me promettre de répondre franchement.
_ D'accord, je te le promets. C'est quoi cette question ? me demande-t-il d'un ton hésitant, comme il ne voit pas très bien où je veux en venir.
_ Tu aimes vraiment boxer ? je l'interroge ainsi.
Sa réponse ne se fait pas attendre, elle fuse, éclatante de spontanéité :
_ Si j'aime boxer ? Papa, j'adore ça. Quand je suis sur le ring, je peux enfin me libérer de ma colère sans causer du tort à personne. Je m'y sens bien, j'ai l'impression d'être dans mon élément. Le ring, c'est le seul endroit où je peux vraiment m'exprimer. Et quand j'ai gagné ce tournoi ce week-end, pour la première fois depuis une éternité j'ai été heureux, pour la première fois depuis une éternité j'ai éprouvé de la fierté. Avec la boxe, j'ai retrouvé un but, de l'ambition, de l'envie. Grâce à ce sport, je me suis remis à croire en l'avenir, à rêver, car oui, je rêve de faire ces championnats de France, de me voir offrir l'occasion de montrer ce dont je suis capable en affrontant les meilleurs boxeurs français, et je suis sûr que je suis capable de belles choses.
Après quoi il prend soin d'ajouter, jouant sur ma corde sensible, ce qu'il sait si bien faire :
_ Enfin, je suis sûr que je serais capable de belles choses si je pouvais y participer...
C'est une véritable déclaration d'amour que Nolan vient de faire à la boxe. Il ne m'en fallait pas tant pour finir de me faire culpabiliser. Il s'est visiblement trouvé une passion, pas forcément celle que j'aurais voulue. J'aurais préféré qu'il s'épanouisse en enchaînant des longueurs à la piscine ou en courant bêtement derrière un ballon plutôt qu'en bataillant sur le ring contre quelques-uns des plus grands cogneurs de l'Hexagone. Mais bon, les goûts et les couleurs, ça ne se discute pas. Et puis la boxe, c'est un beau sport, dangereux mais beau, alors je devrais me réjouir.
Un peu malgré moi, je me laisse convaincre.
_ Bon très bien, tu as gagné. Tu veux faire de la boxe ? Tu vas en faire.
_ Attends, tu es sérieux ? Tu vas me laisser boxer ?
_ Il semblerait oui. Tu rêves de faire les championnats de France ? Alors tu vas les faire.
_ C'est vrai ? me demande-t-il encore, comme il peine à y croire.
_ Absolument. Après ta prestation brillante à Cagnes-sur-Mer, je suppose que tu l'as bien mérité.
_ Oh merci ! Tu assures papa ! s'écrie-t-il en se jetant dans mes bras.
Lorsqu'il se retire de notre étreinte, il me dit encore :
_ Au fait, Féri t'a vraiment fait des compliments sur moi ?
_ S'il a fait des compliments sur toi, il a été carrément dithyrambique oui, je lui confie.
_ C'est bon à savoir, me lance-t-il en retour, un large sourire étirant ses lèvres.
Il file dans sa chambre et réapparaît quelques secondes plus tard avec son sac de sport sur l'épaule.
_ Je vais....
_ Au club, fonce t'entraîner, il n'y a pas de temps à perdre si tu veux être prêt pour les championnats, je complète dans un clin d'œil.
Il me gratifie encore d'un sourire ravi et quitte la villa à petites foulées.
Nolan est ma faiblesse, je ne peux décidément rien lui refuser...
La suite dès samedi ! :)
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Juste un mec bien
RomanceDepuis le décès tragique de sa mère, Nolan doit faire avec une colère et une agressivité qui ne le quittent jamais et qui lui ont déjà valu d'être viré de son ancien lycée. Contraint par son père de quitter Paris, la ville dont il est originaire, po...