Chapitre 78 (Kimi)

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Ce rendez-vous de travail avec Simon ne me dit rien qui vaille mais je suis bien obligée de m'y rendre car la date de la présentation de notre exposé se rapproche dangereusement et il est grand temps que nous commencions à le préparer

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Ce rendez-vous de travail avec Simon ne me dit rien qui vaille mais je suis bien obligée de m'y rendre car la date de la présentation de notre exposé se rapproche dangereusement et il est grand temps que nous commencions à le préparer. Alors à la fin du cours de mathématiques, je traîne les pieds jusqu'à la bibliothèque du lycée où je dois retrouver Simon.

Je n'ai pas à l'attendre très longtemps, à peine quelques minutes. Quand il arrive à ma hauteur, nous échangeons un sourire de politesse puis nous pénétrons dans la bibliothèque. Nous consacrons ensuite quelques instants à chercher une table libre où nous installer et nous allons finalement prendre place tout près de la grande baie vitrée qui donne sur la cour de l'établissement.

_ Alors, tu en as pensé quoi ? je lui demande d'abord, histoire de briser la glace et tandis que nous sortons chacun notre exemplaire de l'œuvre d'Edmond Rostand, « Cyrano de Bergerac ».

_ Tu parles du livre ? bredouille-t-il en retour.

_ Et bien oui, de quoi d'autre sinon ?

Comme je le trouve très mal à l'aise, je le questionne encore, cette fois d'un air plus suspicieux :

_ Tu l'as bien lu au moins ?

C'est seulement quand j'ai fini de poser ma question que je me rends compte qu'elle est ridicule. Il est évident que Simon a lu la pièce de Rostand. Il n'est pas le meilleur élève de la classe pour rien. J'imagine que pour avoir les notes qu'il a, il doit travailler très dur. Aussi, je m'en veux de mettre en doute son sérieux de la sorte. D'ailleurs, je sens au ton de sa voix lorsqu'il me répond qu'il s'en trouve un peu agacé :

_ Evidemment, je l'ai lu une première fois il y a deux ans de ça pour le plaisir. Et je l'ai relu la semaine dernière pour être certain d'avoir tous les éléments de l'histoire en tête aujourd'hui.

Il ne l'a donc pas lu une seule fois comme c'est mon cas mais deux. Ça m'apprendra à parler trop vite. Il aurait toutes les raisons d'être vexé. D'ailleurs, il l'est sans doute un peu et c'est peut-être pourquoi il choisit d'inverser les rôles :

_ Et toi alors ? Qu'est-ce que tu as pensé de l'histoire ?

Je marque d'abord un bref instant de réflexion avant de lui livrer mon sentiment sur la pièce.

_ Dans l'ensemble, je dois dire que l'histoire m'a passionnée. L'arrangement qui est au centre de l'intrigue par lequel Cyrano de Bergerac, ce mousquetaire présenté comme laid physiquement à cause de son nez d'une taille démesurée mais qui manie habilement les mots et jouit d'un esprit remarquable, aide Christian de Neuvillette, un noble quant à lui très séduisant mais incapable d'exprimer ce qu'il ressent, à conquérir le cœur de sa cousine Roxane qu'il aime secrètement lui aussi m'a vraiment tenue en haleine. C'est une manière originale de nous questionner sur ce qu'est vraiment la beauté et de confronter la beauté de l'esprit et la beauté physique. Si Roxane est d'abord attirée physiquement par Christian, c'est bien de son esprit qu'elle est éprise, un esprit qui est en fait celui de Cyrano car c'est bien lui qui souffle les mots d'amour que le noble prononce lors de la scène du balcon, et c'est encore Cyrano qui écrit les lettres que la jeune femme reçoit tandis que les deux hommes se trouvent sur le front d'Arras où ils ont été envoyés combattre au péril de leur vie.

Je m'interromps un instant et croise le regard de Simon qui, à l'évidence, ne s'attendait pas à ce que je le gratifie d'un retour aussi détaillé.

Je laisse encore s'écouler quelques secondes de silence avant d'ajouter :

_ Autant comme je viens de le dire j'ai adoré l'histoire, autant j'ai été déçue par la fin.

_ Déçue par la fin ? Tu plaisantes, c'est justement la fin qui donne toute sa dramaturgie et tout son intérêt à l'histoire, me lance-t-il du tac au tac avant de me questionner, qu'est-ce qui te gêne dans la fin au juste ?

_ Je ne comprends pas l'obstination de Cyrano à garder sous silence ses sentiments pour Roxane. Jusqu'à son dernier souffle, il se refuse à lui confier son amour et il faut que ce soit finalement elle qui le devine lorsqu'il lui récite le contenu de la lettre d'adieu qu'il a rédigée pour Christian. Pourquoi ne lui a-t-il pas fait sa déclaration avant de mourir ?

Comme je le vois qui me fixe d'une drôle de manière, je m'enquiers :

_ Qu'est-ce qu'il y a ?

Il marque un instant d'hésitation avant de finalement se décider à me livrer le fond de sa pensée :

_ Rien, c'est juste que je suis surpris que tu ne comprennes pas pourquoi Cyrano n'a pas fait sa déclaration.

_ Parce-que toi tu as tout compris bien sûr ? je lui dis, un peu vexée par sa remarque qui laisse sous-entendre que je serais trop bête pour avoir compris le fin mot de l'histoire.

_ Et bien je n'ai pas de certitudes à ce sujet, reconnait-il d'abord avant d'ajouter, en revanche j'ai des hypothèses.

_ Des hypothèses hein ? Et je peux savoir lesquelles ? je lui demande encore, bien décidée à l'obliger à aller au bout de son raisonnement.

Je peux entendre au son de sa voix que mon insistance à le don de l'intimider quelque peu. Pourtant, il trouve le courage de me répondre :

_ Je pense que si Cyrano n'a pas fait sa déclaration à Roxane, c'est sans doute pour respecter la mémoire de Christian mais aussi et surtout parce-qu'il craignait la réaction de Roxane.

_ Il craignait la réaction de Roxane ? Dans ce cas, je persiste et je signe, Cyrano est décevant. Pour un homme qui se targue d'avoir du panache, je le trouve d'une grande lâcheté pour le coup.

_ Au contraire, il fait preuve de panache jusqu'au bout justement. Je pense qu'il est trop fier pour avouer à Roxane qu'il l'aime, soutient encore Simon.

_ Trop fier, c'est ridicule ! j'ajoute, comme je m'agace qu'il me contredise. Il n'y a pas de doute, tu es bien un garçon pour proposer une telle explication.

Tandis qu'il reste silencieux à m'interroger du regard, je poursuis :

_ Pourquoi faut-il toujours que les mecs gardent leurs sentiments pour eux ? Pourquoi ont-ils tant de mal à dire clairement ce qu'ils ont sur le cœur ?

Ce reproche que je fais à la gent masculine est en fait directement adressé à Nolan à qui j'en veux toujours de ne pas avoir été honnête avec moi dès le départ. Seulement, cette remarque passe très mal vis-à-vis de Simon qui rétorque :

_ Certains ont dit ce qu'ils avaient sur le cœur et le résultat a montré qu'ils auraient sans doute mieux fait de s'abstenir.

Je comprends immédiatement qu'il fait référence à la déclaration qu'il m'a faite quelques jours plus tôt. Me rendant compte de ma bévue, je m'empresse d'essayer de me corriger :

_ Pardon, je ne parlais pas de toi. Enfin je... C'était maladroit...

_ Ce n'est rien, me dit-il sobrement en retour alors que je suis toujours confuse.

Simon a beau prétendre le contraire, je vois bien qu'il me tient rigueur de ma bourde. Quant à moi, je reste silencieuse durant de longues minutes, faute de savoir quoi dire pour me rattraper. La suite de notre rendez-vous se déroule dans une ambiance froide et j'éprouve un profond soulagement quand il se termine enfin.

Nous devons nous revoir bientôt pour préparer notre présentation et je dois dire que je ne suis pas pressée d'y être.

La suite dès samedi ! ;)

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