Chapitre 10 (Nolan)

4.6K 298 37
                                    

Les cours d'éducation physique sont encore les seuls auxquels il me plaît d'assister. J'ai toujours été hyperactif et me dépenser est essentiel pour me permettre de contrôler mes émotions dont certaines, très négatives, sont à l'origine de mes élans d'agressivité. En fait, j'aime l'effort. Il me procure un bien-être et une sensation d'apaisement que je ne trouve nulle part ailleurs. En quelque sorte, le sport est ma thérapie, la seule qui ait toujours fonctionné, rien à voir avec les thérapies comportementales que m'aurait proposées ce psy au prénom ridicule.

Aujourd'hui, le professeur a prévu une séance de course à pied. Avant de nous lâcher sur la piste, il nous explique vouloir nous préparer à l'épreuve des trois fois cinq cents mètres du Bac. Pour les garçons, il faut les réaliser, chacun, en moins d'une minute et vingt-trois secondes pour avoir la note maximale. Ça ne va pas être une partie de plaisir mais je m'en pense capable car je suis quelqu'un de très endurant et de particulièrement dur au mal. Aussi, le demi-fond est un effort qui me convient bien. Qui plus est, c'est le seul examen où j'ai une chance d'avoir vingt sur vingt alors autant la saisir.

Au programme, un test visant à évaluer notre vitesse maximale aérobie, la fameuse VMA pour les intimes. Le principe est d'une simplicité enfantine, tourner en rond de plus en plus vite et atteindre les balises avant les coups de sifflet du professeur. En fait, c'est une sorte de course à élimination, le dernier en piste étant donc le meilleur. Or je suis un compétiteur né et, par conséquent, j'ai bien l'intention de marquer mon territoire et de mettre une raclée à mes nouveaux camarades, en particulier aux trois emmerdeurs qui me semblent être les concurrents les plus crédibles, la plupart des autres élèves n'ayant pas l'air d'être de grands sportifs.

Après un bref échauffement d'une vingtaine de minutes, le professeur nous rappelle. Le test va commencer. Je prends place sur la ligne de départ. Les trois emmerdeurs se trouvent tout près de moi. Comme d'habitude, ils braillent et se vantent déjà de leur succès annoncé. Simon est là lui aussi, plus en retrait, sans doute pour éviter d'avoir affaire une nouvelle fois à ceux qui semblent être devenus ses tortionnaires. Enfin, je remarque la présence de la fille du réfectoire. Elle a troqué sa combinaison fluo contre une sobre tenue de sport, sans doute est-ce d'ailleurs pour cette raison que je ne l'ai pas vue plus tôt.

Plus que quelques secondes avant le départ. Le silence gagne les élèves. Le professeur se charge de faire le décompte :

_ Cinq, quatre, trois, deux, un. Partez !

Les premiers tours sont parcourus à un train de sénateur, les coups de sifflets étant si espacés que nous aurions presque le temps de nous arrêter prendre une bière au bar du coin. Mais, rapidement, le rythme s'accélère et le peloton fond comme neige au soleil. Si bien que lorsque la vitesse de croisière passe au dessus de la barre des seize kilomètres par heure nous ne sommes plus que quelques élèves encore en course.

Je me retourne pour faire l'inventaire des forces en présence. Comme prévu, je suis encore accompagné des trois emmerdeurs, ou plutôt de ce qu'il en reste. Ils ont cessé de brailler. Ils semblent en dette d'oxygène et en grande souffrance. A en juger par leurs visages figés dans des rictus de douleur, je ne donne pas cher de leur peau. D'ailleurs, je ne m'y trompe pas. Quand la cadence monte encore d'un cran, ils rendent les armes et décrochent.

Je cours maintenant à plus de dix-sept kilomètres par heure vers ce que je crois être un triomphe acquis. Mais je me mets à douter lorsque, tendant l'oreille, j'entends encore des bruits de semelles fouettant énergiquement le sol. Les trois emmerdeurs hors-jeu, je me demande qui peut bien me suivre à ce stade de la course.

Le professeur annonce le prochain palier. Il faut encore allonger la foulée et je commence à avoir sérieusement mal aux jambes. J'entreprends de me retourner pour connaître l'identité de mon poursuivant mais, au même moment, je vois que quelqu'un me double par la droite à une vitesse stupéfiante pour venir prendre position devant moi.

Une foulée puissante et aérienne, des muscles saillants qui s'étirent avec une facilité déconcertante, et une ligne superbe. Je n'en crois pas mes yeux, mon poursuivant est en fait une poursuivante, et quelle poursuivante ! Cette fille est une véritable athlète !

Elle mène un train d'enfer et je dois lutter pour me maintenir dans son sillage. Je me dis qu'elle ne va pas pouvoir continuer à ce rythme mais elle me fait mentir. Mètre après mètre, elle augmente encore l'intensité de son effort et moi je subis de plus en plus. Soudain, elle descend à ma hauteur et se paye le luxe de venir me narguer :

_ Hé ! Tu es nouveau toi ! Tu te débrouilles pas mal. Mais désolé mon gars, ça ne va pas suffire pour me battre.

Est-elle vraiment en train de me parler ou est-ce une hallucination dûe à mon état d'épuisement ? Je comprends que ce n'est pas une hallucination quand elle ajoute :

_ Ça brûle les jambes, hein ? Bon, écoute, comme je suis une gentille fille, je vais mettre fin à ton calvaire.

Sitôt après avoir fini de prononcer ces mots, elle place une attaque fulgurante et je dois me résigner à la voir partir au loin, irrémédiablement distancé.

Je suis exténué et le coup de sifflet suivant finit de m'achever. Me voilà hors course.

Le test terminé, je reste étendu sur le sol durant de longues secondes, cherchant à reprendre mon souffle et essayant tant bien que mal de récupérer de l'effort violent que je viens de produire. Alors, la fille supersonique, qui vient tout juste d'en terminer à son tour, se penche au dessus de moi et me dit tout en me tendant la main comme pour m'aider à me relever :

_ Sans rancune ! Tu es tombé sur plus forte que toi, c'est tout !

Comme je suis du genre très mauvais perdant, je refuse son aide et tente de me hisser seul sur mes pieds. Seulement, j'ai toutes les peines du monde à me tenir debout. Je suis encore sous le coup de l'acide lactique qui pollue chacun de mes muscles à tel point que je suis contraint de m'accroupir pour ne pas retomber aussi net. Pas vraiment fringant, je trouve quand même la force de répondre à mon adversaire d'un air bougon qui en dit long sur ma frustration :

_ Fous-toi de moi en plus...

_ Oh mais c'est que monsieur fait son susceptible, s'amuse-t-elle en retour.

Après quoi, j'ajoute, comme pour me trouver des excuses auxquelles je ne crois pas moi-même :

_ Tu as juste eu de la chance que je sois dans un mauvais jour.

_ Un mauvais jour, hein ? C'est marrant, ils disent tous ça la première fois. J'ai du mal à comprendre pourquoi les mecs sont incapables de reconnaître la supériorité des femmes... Mais tiens, tu pourrais peut-être m'éclairer à ce sujet ?

Décidément, c'est la douche froide. Non content de me faire battre à la course par une nana, il faut que ce soit une féministe en plus. Qu'ai-je fait pour mériter une telle humiliation ?

Ma rengaine est trop forte pour que je la laisse se payer ma tête une minute de plus. Aussi, je lui lance sèchement, espérant qu'ainsi elle me laissera tranquille :

_ Tu sais quoi ? Va te faire voir !

_ Susceptible et mal élevé. Dis-moi, tu as tout pour plaire toi !

_ Parle toujours tu m'intéresses ! je réponds en m'éloignant déjà dans l'intention d'écourter ce moment pénible.

_ C'est ça, va soigner ton petit ego blessé chéri ! me crie-t-elle encore.

Quelle garce celle-là ! Ça va que c'est une fille et que j'ai pour code moral de ne jamais m'en prendre aux filles car, si un mec m'avait parlé comme elle vient de le faire, ma réaction aurait été tout autre.

Juste un mec bienOù les histoires vivent. Découvrez maintenant