Sua Sponte

CHAPITRE 124

Daryl étouffe un grognement de douleur en reprenant lentement connaissance. Aveuglé par la lueur blanchâtre du soleil qui continue son ascension dans le ciel, il papillonne plusieurs fois pour chasser le voile qui brouille sa vue et la migraine fulgurante qui enrobe son crâne. À mesure qu'il reprend doucement conscience de la réalité, une rapide succession de flashs s'imposent à ses rétines, engourdissant ses sens pendant quelques secondes.

La journée de la veille, à éloigner la horde avec Sasha et Abraham, après qu'il se soit décidé à rester avec eux. Les trente kilomètres avalés avant qu'ils ne se décident à faire demi-tour et puis le guet-apens d'inconnus quand ils avaient traversé un bourg isolé, où ils s'étaient fait tirer dessus dans tous les sens. Sa chute à moto dans leur fuite, où il avait récolté une belle égratignure au bras et à la tête, et puis sa séparation d'avec ses amis. Sa fuite à travers une portion de forêt entièrement calcinée, parsemée de corps encore plus calcinés, collés au sol par les chairs brûlées et les mâchoires qui claquaient lentement en laissant échapper un râle d'amertume. Et puis son face à face avec deux jeunes femmes qui semblaient perdues et effrayées, juste avant qu'il ne se prenne un coup à la tête par un type au visage émacié et cheveux blonds filasses.

— Debout !

Tiens, le voilà encore, ce type. Avec ses yeux enfoncés dans leurs orbites et sa mâchoire tout en angles abrupts. Pourquoi il me braque avec son flingue, cet abruti ?

Il l'a entendu parler cette nuit, dans son demi sommeil barbouillé d'inconscience. Qu'est-ce qu'il disait ? Probablement un soldat d'un des avants-postes. Ça voulait dire quoi ?

— Hey ! Debout !

Bordel, pourquoi est-ce qu'il hurle comme ça ? Daryl baisse un instant la tête sur ses poignets fermement liés devant lui, avant de relever le menton vers l'inconnu qui le braque avec son flingue. Le trou du canon est flou devant ses yeux encore assommés de sommeil. Et puis son crâne qui refuse d'arrêter son bombardement de palpitations contre ses tempes.. Merde, Tonie... Est-ce qu'ils s'en sont sorti, là-bas ? Et Sasha et Abraham ? Est-ce qu'ils se sont fait avoir par les connards qui leurs ont tiré dessus ? Trop de questions d'un coup et ce flingue toujours tendu devant lui.

— Voilà le deal, reprend l'inconnu.

Daryl fronce les sourcils derrière sa frange brune, relève ses iris furieux sur les traits émaciés. L'homme est pâle, manque de couleur, tout comme les deux filles un peu plus loin.

— Tu restes tranquille, et je te bute pas.

— Je suis pas celui que tu penses.

Le type a un sursaut de nervosité qui fait tiquer les traits de son visage, avant qu'il n'enclenche le chien de son pistolet d'un geste sec, ramenant aussitôt le canon impatient sur le regard buté du Redneck qui reste calme.

— Dis-moi autre chose, tente l'homme, en le défiant du regard. Vas-y, allez !

Mais Daryl reste silencieux. Il se contente de le fixer d'un oeil dur, son cerveau déjà tout à son travail pour trouver une solution pour s'échapper, pour trouver une faille dans les regards inconnus qui se veulent décidés. Le type finit par lui agripper le bras pour le forcer à se mettre debout, et il lance un regard aux deux femmes qui attendent un peu plus loin, adossées dans une posture faussement nonchalante et intimidante à un camion de fuel renversé sur le côté, dont la carcasse noircie se fond dans le paysage de désolation qui les entoure. Il remarque son arbalète posée sur un gros sac en toile aux pieds des filles.

— Tu les suis, ordonne le type, alors que les filles se mettent en route avec leurs bagages.

Daryl serre la mâchoire et obtempère. Pour l'instant, il faut qu'il se renseigne sur eux en les écoutant. Il trouvera une faille, un grain de sable dans l'engrenage, qui pourra lui donner l'avantage. Parce qu'il ne peut pas s'éterniser. Il faut qu'il retrouve Sasha et Abraham. Il faut qu'ils rentrent à Alexandria. Tonie l'attend là-bas. Non. Sa femme l'attend là-bas.