CHAPITRE 77

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Assise sur la première marche sous le porche du petit cabanon perdu en plein milieu de la forêt, Tonie recracha un nuage de nicotine dans l'air chaud de la nuit, rivant ses prunelles argentées sur la voûte étoilée qui la surplombait en laissant ses pensées tourbillonner sous son crâne.

Elle entendait la symphonie des grenouilles planquées à quelques mètres. Le crissement discret des insectes cachés dans les bosquets verdoyants. Le souffle léger du vent qui venait caresser sa nuque.

Elle se sentait vidée. Anesthésiée. Brisée.

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Tonie cilla lentement en reprenant connaissance aux premières lueurs de l'aube, et elle posa une main au sol pour redresser son corps lourd et endolori contre le meuble de la cuisine, ses iris argentés ourlés de cernes violacées glissant jusqu'au sang épais étalé sur le parquet entre ses jambes.

Dehors l'orage s'était enfin éloigné, les dernières gouttes de pluie emprisonnées sur les feuilles des arbres continuant de goutter une à une dans un clapotis discret.

La jeune femme lâcha une longue expiration entre ses lèvres entrouvertes, son esprit annihilé peinant à revenir dans la réalité, et elle se remit lentement sur ses jambes en se cramponnant au plan de travail, retenant avec peine un gémissement douloureux. Elle baissa à nouveau la tête sur l'échec de sa grossesse qui ruisselait sur les planches en bois et sur la peau pâle de ses cuisses, et elle se dirigea jusqu'à la salle de bain en se tenant aux murs, chancelant sur ses jambes parcourues de fourmillements désagréables, avant d'actionner le robinet de la douche qui relâcha un jet d'eau glacé par le pommeau.

Elle retira maladroitement son t-shirt maculé de sang de rôdeur, de sueur et de terre en le laissant tomber au sol, et elle pénétra dans la cabine exiguë en posant une main contre le carrelage froid pour se tenir, fermant les yeux en levant la tête vers l'eau salvatrice qui ruissela sur son corps meurtri en effaçant les traces rouges de son épiderme.

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La militaire amena une nouvelle fois sa cigarette à ses lèvres en continuant d'observer les étoiles qui brillaient malicieusement au dessus d'elle, inspirant sa dose de nicotine au milieu du calme déconcertant qui régnait tout autour d'elle.

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Son corps enroulé dans une serviette de bain, Tonie attacha ses cheveux humides en un chignon désordonné, avant d'ouvrir les portes de la petite armoire disposée près du lit dans un coin de la pièce, passant rapidement en revue les vêtements de l'ancien propriétaire qui étaient entreposés correctement sur des cintres. Elle en sortit un t-shirt gris et une chemise à carreaux en flanelle rouge trop grands qu'elle enfila sans attendre, et elle retourna vers la cuisine pour prendre la petite bassine remplie d'eau qui était toujours dans l'évier, récupérant une éponge au passage, avant de s'agenouiller devant le rejet de son corps pour nettoyer les traces rougeoyantes, frottant avec rage l'hémoglobine qui s'était répandue sur le bois en serrant les dents sur le hurlement furieux qui inondait sa bouche.

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'On y arrivera..'

L'écho de la voix de Daryl résonna faiblement contre ses tympans, faisant remonter un sanglot amer au fond de sa gorge, et elle relâcha un dernier nuage grisâtre dans l'air chaud avant de balancer sa Marlbo d'une pichenette du pouce, suivant la trajectoire du mégot qui tomba quelques mètres plus loin au milieu de l'herbe grasse.

Et maintenant ?

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La dernière trace de sang avait disparu. Le foetus minuscule avait été enterré derrière le cabanon. Après avoir nettoyé le sol pendant presque une heure, les mains abimées par le contact prolongé de l'eau contre sa peau, Tonie rangea la bassine et l'éponge à leur place après les avoir rincé, avant d'aller chercher son jean qu'elle avait mit à tremper dans le lavabo de la salle de bain pour l'essorer.

Sua SponteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant