CHAPITRE 60

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La flamme orangée du briquet éclaira brièvement le visage fatigué de Tonie, et elle relâcha la molette avant d'expirer un nuage de nicotine dans la semi-obscurité de la petite cuisine des Dixon. La brise chaude de l'été s'engouffrait par intermittence par la fenêtre entrouverte dans son dos, et elle bloqua son regard éteint sur le frigo devant elle en serrant son poing droit tremblant. Ses phalanges affichaient encore les marques de colère sourde qu'elle avait affligé contre les murs de sa maison au cours de la journée écoulée, ses joues brûlantes continuaient de tirailler des larmes qu'elle versait dans un flot discontinu.

L'électricité - qui fluctuait constamment depuis environ quatre ou cinq heures dans toute la ville - revint dans la petite maison en clignotant un instant, avant de se stabiliser. Le ronronnement du réfrigérateur se remit à tourner doucement, et le plafonnier au dessus de la tête de Tonie revint éclairer son visage épuisé, avant que la silhouette de Merle n'apparaisse au coin de la pièce.

Les deux voisins échangèrent un regard grave, et Tonie récupéra sa bouteille de bière posée devant elle sur la table pour en boire une gorgée, tandis que le Redneck se dirigeait vers le frigo pour attraper une Bud. Le garçon vint s'asseoir à califourchon sur une chaise face à la militaire, et il décapsula sa bouteille avec son briquet avant d'amener le goulot à ses lèvres. Silencieux, il reposa sa bière sur la table, observant du coin de l'oeil la jeune femme qui tirait une latte sur sa cigarette.

- Comment tu te sens ? Il demanda enfin de sa voix rocailleuse, en fixant l'éclat doré qui scintillait sous la lumière douce.

- Morte. Répondit Tonie en jouant distraitement avec l'étiquette de sa petite bouteille verte.

Merle serra la mâchoire sans rien dire, et il prit une nouvelle gorgée du liquide doré et pétillant. Depuis la veille au matin, au moment où la Ranger avait achevé sa petite fille d'un coup de couteau dans la tête, c'était comme si elle s'était totalement déconnecté à la réalité, en même temps que la civilisation continuait de partir en vrilles. Avec les coupures de courant de plus en plus rapprochées, les réseaux téléphoniques saturaient, les messages d'alerte se répétaient sur les radios, et la population errait dans un flot incessant de frayeur et de confusion en essayant de fuir. La veille au soir ils avaient vu de nouvelles vidéos sur internet qui relayaient des images de personnes se faire tirer dessus sans que cela ne semble les atteindre, d'émeutes sur Los Angeles et dans d'autres capitales, de quartiers partir en fumée sous d'immenses flammes rougeoyantes à mesure que la civilisation s'effondrait.

La lumière du plafonnier vacilla à nouveau, avant de s'éteindre en même temps que le frigo qui lâcha une longue expiration mécanique. L'obscurité seulement perturbée par le clair de lune revint les entourer de toutes part, et Tonie reprit une gorgée de bière sans que cela ne semble l'affecter.

- Les coupures se rapprochent. Elle déclara simplement, avant d'amener sa Marlbo à ses lèvres. Ils sont en train de perdre le contrôle.

- Va falloir qu'on prenne une décision, et vite. Proposa Merle, avant d'amener le goulot de sa bouteille à ses lèvres.

- Atlanta ? Demanda Tonie en relevant ses prunelles grises sur l'aîné Dixon.

- J'en sais rien. Il répondit en haussant une épaule. C'est toi qui nous a dit qu'ils avaient un camp de réfugiés là bas.

- Quand une civilisation s'éteint, elle s'éteint vite. Annonça la jeune femme d'une voix grave, avant de relever la tête vers son voisin. Tu crois vraiment qu'ils réussiront à tenir les camps avec ce qu'on a vu sur les vidéos ?

- Non. Répondit Merle avec sincérité.

Ils restèrent se regarder un long moment dans les yeux sans rien dire. Très loin au dehors, ils entendait le bruit de la petite ville effrayée de Jackson qui leur parvenait en écho, le bruit des moteurs de voitures qui fuyaient leur maison. L'électricité revint à nouveau en vacillant plusieurs fois, et Tonie tira une dernière latte sur sa cigarette avant d'écraser le mégot dans le cendrier devant elle.

Sua SponteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant