CHAPITRE 162

293 15 0
                                    

— Quand tout est parti en couilles, on était sur une mission au sud de Bassora. On nous a rapatrié d'urgence pour venir renforcer les équipes envoyées sur les grandes villes.

Adossée à un mur de l'armurerie, les bras croisés sur sa poitrine, Tonie observait attentivement son ancien coéquipier debout face à elle dérouler son histoire, le regard perdu dans les gestes automatiques des mains masculines qui rassemblaient des munitions et quelques armes de poing dans un grand sac en toile épaisse posé sur une table. Le soleil pâle du milieu de journée entrait à flot par la grande fenêtre à sa gauche, auréolant ces fragments de passé d'une luminosité trop vive pour la sombreur des mots qu'il employait.

Elle sentait sa propre expérience défiler derrière ses rétines, des échos de sirènes et de hurlements et de chaos se mélangeant tous en même temps. Merle, Daryl et elle qui fuyaient leur petite ville, qui se retrouvaient coincés sur une route bouchée sur des kilomètres. Les hélicoptères qui descendaient sur Atlanta et le bombardement des rues. La fuite jusqu'à la carrière...

— C'était comme d'être déplacé d'un enfer à un autre, continua Justin en examinant un Browning. La première nuit, Ben, Ryan et Andrew se sont fait avoir. La deuxième, c'était Steve et Eddie. Quand on a compris qu'ils envoyaient le Napalm, on s'est barrés avec un petit groupe de civils qu'on avait réussi à exfiltrer d'un supermarché. On est restés un moment ensemble, à vivre sur la route.

Justin rangea un dernier chargeur de mitraillette et referma la fermeture éclair du sac en toile d'un coup sec, avant de venir s'asseoir sur le bord de la table pour faire face à Tonie, posant ses mains contre le rebord de part et d'autre de son corps.

— Et puis le groupe a commencé à diminuer, il reprit d'une voix éteinte. On était plus que quatre quand on est arrivés ici. C'était un autre type qui dirigeait l'endroit à l'époque, il expliqua dans une expiration bruyante. Negan est arrivé quelques semaines plus tard.

— Il a toujours été comme ça ? demanda Tonie.

— Il a imposé des règles, éluda Justin en haussant les épaules d'un air las. Y'avait pas ça ici, avant. Et puis c'était plus facile de suivre le nouvel ordre que de recommencer à fuir...

Tonie pinça doucement les lèvres en opinant d'un air absent, ses prunelles grises glissant distraitement jusqu'à son alliance en or à son annulaire gauche.

— J'imagine qu'on a tous laissé une partie de nous derrière quand tout a foutu le camp, reprit Justin dans un murmure hanté, le regard perdu dans le vide.

— On avait déjà laissé une partie de nous là-bas, déclara Tonie dans un souffle à peine audible, avant de relever la tête vers son ancien coéquipier.

Justin pinça doucement les lèvres, considérant un moment l'expression peinte sur les traits féminins—ce spectre de la guerre qu'ils avaient en commun et qui brillait faiblement dans l'éclat doré de son iris gauche. Du sable et du sang.

Il finit par acquiescer silencieusement d'un mouvement de menton qui manquait d'entrain, reportant son intérêt sur son sac posé à côté de lui.

— Tu m'as demandé tout à l'heure ce que je faisais ici, il reprit en relevant la tête vers la Ranger, qui rencontra son regard d'un oeil rempli de dureté. Je survis. Comme tout le monde. Negan est peut-être barré, mais il fait respecter les règles. C'est mieux que rien.

— Même en sachant ce que vous devez faire pour pouvoir garder cette vie ? elle contra calmement, un fragment de rengaine luisant dans son regard.

— En quoi c'est différent de ce qu'on faisait avant ? il répliqua tout aussi calmement. Tu sais ce qu'on a fait là-bas. Ce qu'on a dû faire pour survivre. Je suis sûr que t'as dû faire deux trois trucs dont t'es pas vraiment fière depuis que toute cette merde a commencé, il continua en balançant un regard circulaire autour de lui, désignant le monde qui les entourait au-delà de ces murs.

Sua SponteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant