CHAPITRE 158

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Il l'avait presque fait. Il avait senti la pulsion foudroyante descendre le long de son bras et ses doigts se resserrer autour de la crosse de la batte... Mais il n'avait rien osé. Il était resté impassible, avait ravalé sa rage tout au fond de lui, même si ça lui faisait mal, même si ça le brisait de devoir garder la tête baissée. Ils avaient gagné. Negan et ses Saviors avaient gagné, et il n'y avait rien qu'il puisse faire pour changer la donne, rien qu'il puisse faire sans risquer une autre vie.

« J'ai enfoncé ma queue tout au fond de ta gorge et tu viens de me remercier pour ça. »

Les mots prononcés sournoisement à son oreille moins d'une heure plus tôt lui tranchaient l'esprit, lui donnaient la nausée. Il se sentait déconnecté de sa propre personne et en même temps rivé au sol par un poids invisible. Un pantin docile. Voilà ce qu'il était devenu. Voilà ce qu'il devait rester pour protéger sa communauté.

Agenouillé sur le sol moquetté de sa chambre, Rick lança un regard absent au baby-phone posé à même le sol à côté de lui. L'image en noir et blanc montrait sa fille en pleine sieste innocente dans la chambre au bout du couloir. Le shérif déroula un grand sac de couchage sur la moquette beige, le coeur encore tiraillé de tout ce qui s'était passé dans la journée. On entendait le chant des insectes filtrer depuis les fenêtres entrouvertes sur sa gauche.

Sa discussion du début de journée avec son fils tournant en fond sonore, il se répéta l'arrivée précoce des Saviors à l'intérieur de leur enceinte, la présence imposante et glaciale de Negan, qui avait pris plaisir à déambuler dans les rues ombragées en s'écoutant déblatérer ses longs discours pendant que ses hommes avaient pillé chaque maison de tout ce qui les intéressait. Les regards désorientés et choqués des habitants de la communauté qui l'avaient vu suivre docilement leur tortionnaire. Qui l'avaient vu ne rien faire. Et puis Carl, son fils, qui avait tenté de se dresser contre cette violation. La peur viscérale qu'il avait ressentie quand Negan s'était posté face à l'adolescent.

Après ça, il y avait eu les deux armes manquantes sur l'inventaire et la menace de tuer Olivia si Rick ne les retrouvait pas rapidement. Le conseil qu'il avait tenu dans la chapelle pour demander à la communauté de se rendre et les regards qu'il avait prit de pleine face, les regards de déception, de peur et de résignation. Il avait fini par trouver les armes chez Spencer ( alors que le garçon était en expédition avec Rosita pour ramener le fourgon emprunté par Glenn, Michonne et la latino quelques jours plus tôt quand ils étaient partis à la poursuite de Daryl, et la moto de l'archer — moto que Dwight s'était empressé de réquisitionner ). Elles étaient cachées sous une latte de parquet avec une bouteille d'alcool à moitié entamée et quelques boîtes de conserve. Lâche, il avait pensé.

Faible, il lui avait balancé au visage après le départ des Saviors. Tu as eu de la chance de te retrouver derrière ces murs. Tu as eu de la chance de te retrouver avec nous.

« Ouais, on a eu tellement de chance, » avait rétorqué Spencer. « Tu nous as tous conduit sur la Terre Promise ! Pas vrai, Rick ? Nous y voilà ! J'imagine que Glenn et Abraham ont eu de la chance, eux aussi ? »

La rage qu'il avait ressentie en l'entendant prononcer ces mots avait infusé dans ses veines avec la puissance d'un ouragan. Comme le fantôme de l'homme qu'il avait été autrefois. Le fantôme de l'homme qui avait arraché la gorge d'un ennemi avec ses dents pour protéger son fils. Où était-il parti cet homme-là ?

Et puis les matelas — tous les matelas qui avaient été emportés, juste pour le plaisir de les délester de leur confort. Il l'avait bien vu dans le regard de ces Saviors. L'avidité malsaine. Des rapaces. Des vautours qui se servaient chez les autres et qui exerçaient leur pouvoir par leur violence.

Sua SponteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant