Sua Sponte

CHAPITRE 155

Tonie savait où elle était avant même d'ouvrir les yeux.

Elle prit conscience du sol froid et humide de la cellule sous son corps dénudé, courbaturé et crasseux, et elle ouvrit les yeux, braquant ses prunelles grises sur la porte épaisse qui lui faisait face. L'interstice du bas laissait passer un mince filet de lumière morne, juste assez pour la faire ciller plusieurs fois d'un air hagard. Le silence était assourdissant.

Des bribes de souvenirs rejaillirent avec force dans son esprit à mesure qu'elle s'extirpait de son sommeil comateux. La clairière. Le meurtre d'Abraham. Daryl qui s'interposait. Le meurtre de Glenn. Negan qui l'entraînait avec lui dans le RV. Negan qui brisait Rick. Qui brisait sa famille. Les hommes qui l'avaient chargée dans le fourgon. Le long trajet silencieux où elle avait compté et mémorisé chaque virage emprunté avant que le véhicule ne fasse une halte. La longue silhouette de Simon qui s'était détachée dans l'encadrement des portières ouvertes, avant qu'il ne lui enfonce son poing en plein visage, la faisant tomber inconsciente — pour l'empêcher de deviner l'emplacement de leur base. Malin...

Tonie se redressa péniblement sur ses mains, chaque muscle de son corps protestant de douleur et d'épuisement et sa tête l'élançant dans un battement régulier qui pulsait depuis le coup que Simon avait porté à sa tempe. Quelqu'un lui avait retiré ses menottes, tous ses vêtements, et avait changé son pansement à la blessure à son flanc. Il ne lui restait que son alliance. Les muscles de sa mâchoire lui donnaient l'impression d'être à vif à force d'avoir serré les dents. Sa joue droite tiraillait légèrement du sang qui avait séché. Le sang d'Abraham...

Sa poitrine se gonfla sous la colère et le deuil qui affluèrent dans ses veines alors qu'elle repensait à la façon dont ses deux amis avaient été brutalement assassinés, les coups de batte infernale tapant contre ses tympans dans un écho sinistre. Elle savait déjà qu'elle n'oublierait jamais ce bruit.

Abraham, qui était parti comme le soldat qu'il était. Droit, déterminé et fier. Elle n'entendrait plus jamais ses réparties pleines de gouaille, n'entendrait plus jamais sa voix grave, ne pourrait plus jamais parler avec lui de leur passé commun.

Glenn... La boussole morale de leur groupe, la sagesse et l'intelligence. Elle avait l'impression que c'était seulement la veille qu'il était en train de leur dessiner un plan sommaire d'un quartier d'Atlanta sur le sol d'un open-space. Il n'y aurait plus jamais de conversations autour d'un café le matin avec lui. Elle ne le verrait jamais porter son enfant dans les bras, ne le verrait plus jamais sourire, ne le verrait plus jamais regarder sa femme de tout l'amour qu'il avait pour elle.

Maggie... Est-ce qu'elle avait pu arriver à La Colline malgré tout ? Ou est-ce qu'elle...

Tonie ne pouvait pas se résoudre à formuler l'autre possibilité.

Une douleur sourde envahit ses sens quand ses pensées se tournèrent vers Daryl.

Le visage de son archer s'imprima avec force derrière ses rétines. Tous les regards qu'il lui avait envoyé pendant cette nuit en Enfer s'accumulèrent en elle, se répétant dans une clarté effrayante maintenant qu'elle n'avait plus le cerveau embrumé. Son inquiétude viscérale quand il l'avait découverte au moment où il avait été sorti du fourgon. Son appel suppliant pour la forcer à revenir dans le moment présent. Sa peur quand elle était revenue de sa « balade » avec Negan. Et ce dernier regard avant qu'elle ne soit transportée dans le fourgon... Cette tristesse brûlante, cette impression de coeur arraché brutalement qu'elle avait pu percevoir dans les deux iris tourmentés.

Tous les mots qu'ils s'étaient balancé au visage avant que tout ne s'effondre dans leurs vies lui semblaient soudain teintées d'amertume et de remord, et elle amena ses mains à son visage, les coudes plantés dans les genoux, frottant ses paumes sales contre ses paupières. Le sang des rôdeurs qu'elle avait furieusement abattus à tour de bras collait sous ses ongles et dans les veinures de sa peau.