CHAPITRE 123

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La nuit était tombée sur Alexandria, emportant avec elle le soleil brûlant qui avait régné toute la journée, sans pour autant réussir à dissiper la chaleur qui stagnait dans les rues calmes, qui s'était teintée d'une odeur de putréfaction latente à cause de la horde qui avait décidé de faire un sit-in autour de l'enceinte. On entendait leurs râles infatigables résonner contre les étoiles.

Lâchant un soupir bruyant entre ses lèvres, Tonie referma l'arrivée d'eau de la douche avant de passer ses mains sur son visage en fermant les yeux. Elle resta un instant immobile, à appuyer ses paumes contre ses paupières jusqu'à voir danser des petites étoiles. Son cerveau repassait en boucle les événements de la journée sans lui laisser une seconde de répit. Elle finit par se décider à sortir de la cabine, et elle s'enroula dans sa serviette en lançant un vague coup d'oeil à son reflet qui apparaissait dans le miroir embué. Sans s'attarder, elle regagna sa chambre pour s'habiller et brosser ses mèches blondes, prenant quelques minutes pour offrir des caresses à son chaton qui s'étirait paresseusement sur les draps froissés, avant d'enfiler ses armes autour de son corps pour ressortir sur le perron. Elle s'installa sur la première marche en sortant son paquet de cigarettes, et elle s'en alluma une dans la brise tiède, recrachant un nuage blanc qui alla tourbillonner devant ses yeux.

Pendant un long moment, elle se contenta d'amener sa Marlbo à ses lèvres en fixant le mouvement d'oscillation des arbres face à elle, s'attardant sur un reflet de lune ou une ombre. Son calme était factice. Intérieurement, la crispation dans sa nuque était à son maximum et ses oreilles étaient grandes ouvertes pour capter le moindre bruit qui lui parvenait sous le concert des insectes. Elle n'arriverait pas à dormir cette nuit. Pas avec cette horde qui les entourait. Pas avec la moitié de sa famille dehors. Pas sans Daryl.

Le garçon avait eu, sans le savoir, le don prodigieux de la rendre plus faible et en même temps plus forte qu'elle ne l'avait jamais été. Une partie d'elle s'interdisait de flancher, parce qu'elle devait tenir. Elle voulait être forte pour lui, quand lui-même n'y arrivait pas. L'autre voulait se rouler furieusement en boule sous les draps et hurler dans un oreiller, parce que tout était trop. Trop de journées hasardeuses qui flottaient entre la vie et la mort. Trop d'émotions exacerbées, trop de peur, trop de colère, trop de morts, trop de sang, trop, trop, trop. C'était un déluge constant d'agitations, un flot ininterrompu de sensations, un bouillonnement de tout et de rien.

Elle avait l'impression que tout était plus simple quand elle était Ranger. On leur donnait une mission et il fallait exécuter cette mission. Tuer l'ennemi. Libérer les otages. Rentrer à la maison et recommencer.

Mais là, l'ennemi était tellement vaste. Les rôdeurs n'étaient que la partie visible, le côté tangible de cette fin du monde tordue dans laquelle ils avaient tous été balancé. Une excuse grotesque pour laisser libre court au vrai adversaire, à la véritable Némésis. L'être humain. Apocalypse ou pas, il restait le même, avec ses émotions, ses mensonges, ses non-dits, ses rancoeurs. Il profitait de la folie du monde pour laisser exploser la sienne. Les Wolves, le Terminus, le Gouverneur... Elle ? À quel moment la frontière entre le bien et le mal s'évanouissait ? À quel moment les héros se transformaient en bourreaux ?

— T'as l'air pensive, déclara Rick en arrivant devant la maison, de retour de sa ronde.

— T'as l'air crevé, elle rétorqua en retroussant le coin de ses lèvres.

Rick pouffa doucement en baissant un instant la tête sur ses Santiags.

— Tu veux m'accompagner ? Il proposa en relevant ses iris bleus sur son amie qui écrasait son mégot.

Tonie acquiesça mollement en lançant un regard absent sur sa droite, avant de soupirer en se remettant sur ses pieds. Elle descendit les marches en bois et emboita le pas au Shérif, longeant la rue déserte dans un silence apaisant. On n'entendait que le claquement de leurs talons sur le bitume et le ronronnement funeste des rôdeurs.

Sua SponteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant