Chapitre 12

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Je passe mes doigts tremblants sur mon genou écorché, tandis que mon autre main est toujours contre mon ventre encore douloureux après le coup que j'y ai reçu. Quelques minutes se sont écoulées, et je suis toujours dans cette ruelle, à essayer de me remettre de ma crise de panique après mon agression.
J'ai du mal à reprendre correctement mes esprits, je me sens toujours sur le qui-vive, avec le cœur qui bat fort et la respiration saccadée.

Je n'arrive même pas à réaliser ce qu'il vient de se passer, je n'arrive pas à me dire qu'un homme vient de m'agresser sans aucune raison. Je laisse ma main retomber et ferme les yeux un instant pour réprimer mes larmes qui veulent à nouveau couler. Il faut que je rentre chez moi.  Je ne veux plus rester dehors une seconde de plus.        

Je me lève difficilement et essuie les quelques larmes qui ont glissé et séché sur mes joues. J'avance, tremblante, pour parcourir la ruelle afin de la quitter au plus vite.

Sauf qu'en arrivant à l'extrémité de la ruelle, je me paralyse, les yeux écarquillés.

J'ai l'impression d'être maudite, lorsque je vois le chef de cartel à quelques mètres. Il se tient dans un coin, juste à côté d'un poteau soutenant des câbles électriques. Une sorte de petite casa avec des rideaux métalliques emplis de tags colorés ressort dans la ruelle où il est, et doit sans doute dissimuler les soldats du cartel qui l'accompagnent, car je vois bien qu'il s'adresse à quelqu'un, mais la casa me bloque la vue.

Je sens le choc s'imprégner en moi, en même temps que la peur, et pendant une seconde je ne sais pas quoi faire, parce que c'est le seul chemin que je connaisse pour rentrer chez moi, mais je ne veux pas m'approcher d'eux.

Et cette seconde a suffi pour que le chef de cartel me remarque en balayant les environs du regard.

Je sens une goutte de sueur froide dégouliner le long de mon dos. Je ne réfléchis pas plus longtemps, et décide de me tourner pour reparcourir la ruelle, je prendrai un autre chemin, quitte à me perdre. Je n'ai pas le courage de ne serait-ce que le regarder de loin, alors passer à proximité de lui est tout simplement impensable.

Sauf qu'à mi-chemin, je me rends compte qu'en sortant de cette ruelle par l'autre côté, il y a le risque que je retombe sur mon agresseur. Une onde de panique et de désespoir me traverse et me fait monter les larmes aux yeux. Je regarde frénétiquement autour de moi, comme si une voie de secours allait par miracle apparaître à ma droite ou à ma gauche.

Puis je passe mes mains sur mes joues humides, perdue, ne sachant pas quelle décision prendre. Qu'importe par où je quitte cette foutue ruelle, je me retrouverai face à un cauchemar.

Un stress immonde me retourne l'estomac alors que je ravale ma salive en poursuivant mon chemin, me disant qu'avec un peu de chance, mon agresseur ne sera plus dans la ruelle où je l'avais trouvé. Du temps s'est écoulé depuis que je l'ai quitté. Probablement pas plus de cinq minutes, mais cela devrait être suffisant, non ?

En arrivant dans la rue de mon agresseur, je réalise avec effroi qu'il est toujours là, et de nouveau au téléphone. Il ne tarde pas à me voir, et sa réaction fut immédiatement terrifiante. Ce dernier s'approche dangereusement de moi, et je suis trop tétanisée pour bouger.

Il se fige brusquement, sans que je ne comprenne l'effroi qui se peint sur son visage, et en moins de deux secondes, il lâche son portable au sol et part en courant, sous l'œil crédule que je lui lance.

Je le fixe alors qu'il s'éloigne en traînant presque sa jambe blessée derrière lui, puis une fois qu'il est bien loin, j'expire promptement mon souffle, soulagée. J'ai finalement peut-être un ange avec moi.

_ Tu t'attires pas mal d'ennui.

Je me crispe sur place, avant même d'avoir pu faire un pas. Mon corps se met à trembler à l'entente de cette voix. C'est lui...C'est le chef de cartel. Et la seconde qui suit, je vois trois hommes portant une mitraillette chacun passer à côté de moi en tenant un talkie-walkie et en suivant du regard l'agresseur. Les voir confirme que le chef de cartel se tient bel et bien près de moi.

Mais je n'ose pas tourner la tête pour le voir et en avoir le cœur net, je garde mes yeux écarquillés baissés sur le sol, incapable de prendre pleinement conscience que la seule personne que j'espérais ne jamais avoir à revoir un jour se trouve actuellement juste à côté de moi. En fait, je refuse de le croire.

D'un coup, le chef de cartel m'attrape brutalement la nuque, me coupant le souffle que je n'avais déjà pas. Je grimace en crispant les épaules.

_ Dis-le moi si je t'ennuie, dit-il sèchement, contrarié par mon mutisme.

Je lui lance un regard, et constate qu'il ne bouge pas d'un poil, indifférent à la douleur qu'il me procure.

_ Tu...Vous...Vous me faites mal, balbutié-je d'une voix éraillée.

Il quitte finalement son regard de ses hommes, pour poser ses yeux sur moi.

_ C'est le but, dit-il froidement.

Au bord des larmes, je le supplie du regard de me lâcher. Il détourne les yeux d'un air indifférent vers ses hommes, appuyant plus brutalement sur ma nuque avant de me lâcher lorsque l'un d'eux revient vers lui pour lui tendre un talkie-walkie.

_ Entendi, uma vadia do TCM.(C'est bien une salope du TCM), dit l'homme de main du chef. Ele deve ter se escondido em algum lugar depois do tiroteio e saiu esta manhã na esperança de poder sair de Jacarezinho sem ser notado. (Il a dû se cacher quelque part après la fusillade et il est ressorti ce matin dans l'espoir de pouvoir quitter Jacarezinho sans se faire remarquer.)

Le chef récupère le talkie-walkie et ses yeux gris inspectent longuement. Je baisse la tête en sentant des larmes couler et serre le bord de mon short pour réprimer un sanglot. Fais chier...pourquoi n'ai-je pas la force et le courage de lui tenir tête ? Quand je voyais les filles dans les films tenir tête aux hommes dangereux, ça semblait facile mais là c'est à peine si j'ose respirer.

Puis pourquoi il me parle ? Je veux juste rentrer chez moi, me cacher et ne plus JAMAIS ressortir. Tremblante, j'ose faire un pas en arrière tandis que le chef se détourne légèrement pour parler au talkie-walkie en fronçant les sourcils. Je profite de son inattention pour faire quelque chose de complètement stupide et inconscient.

Je cours. Oui je suis en train de fuir, je m'échappe, je galope carrément. J'ai eu une montée d'adrénaline inexplicable mais que je ne regrette pas car j'arrive dans ma casa sans aucun problème. Il ne m'a pas suivi. Essoufflée, je ferme la porte à clé derrière moi et m'empresse d'aller dans ma chambre en pleurant puis je m'assois au sol en encerclant mes jambes de mes bras.

Avoir peur de la réalité, c'est la pire sensation que l'on subisse durant notre vie, car elle nous empêche d'avancer. Souvent j'ai peur d'affronter les monstres virtuels qui sont en moi. L'imagination est bien plus destructrice que la réalité, parce que mes pensées ne cessent de s'imaginer qu'à chaque pas que je ferais dehors, il m'arrivera quelque chose de lugubre et mauvais.

La peur est un des plus grands problèmes inhérents à la vie. Être sa victime, c'est avoir l'esprit confus, déformé, violent, agressif, en perpétuel conflit. C'est ne pas oser s'éloigner d'un mode conventionnel de pensée, qui engendre l'hypocrisie. Tant qu'on n'est pas délivré de la peur, on peut escalader les plus hautes montagnes, inventer toutes sortes de dieux, mais on demeure dans les ténèbres.

J'ai mal, mon corps me fait extrêmement souffrir, les coups ont été atroces et tellement douloureux. Ma pommette me fait mal, mon ventre me fait souffrir, ma lèvre me pique. Bordel de merde, je n'arrive pas à croire que je viens d'être frappée sans raison.

J'ai compris une chose fondamentale aujourd'hui. Lorsque les individus ont peur, ils abandonnent leur liberté à un pouvoir fort, ils se déresponsabilisent totalement.

Je n'ai plus de liberté moi. Elle m'a été arrachée en entrant dans cette favela.

PRATA O PLOMO T.1 & 2 [ En cours d'édition chez AMZ ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant