PRATA O PLOMO T.1 & 2 [ En cours d'édition chez AMZ ]

Chapitre 133

JOÃO

Soleil couchant. Cieux vertueux, la boule orange est ronde à l'horizon. Et je me sens concerné par chaque chute du jour dont je témoigne, car ces fuligineux remords qui m'engluent depuis presque vingt ans, sont toujours à la même place au même niveau, même si la veille pendant la journée, j'ai tenté de délayer la sensation dans l'alcool. C'est la morosité du réveil maintenant. Il s'agit de redescendre, de m'humilier. Et je regagne en un instant, ma défaite: les ignominies de mon quotidien.

Et ça me dégrade. Et ça me met en pièce. Ça me désagrège et m'épuise terriblement. Je n'en peux plus de me réveiller avec ce poids sur le cœur. Il existe peu de sentiments plus douloureux que de se voir vieillir dans l'usure de ses choix. Constater qu'après toutes ces années, les conséquences de mes actes que je pensais jadis moindres, sont désormais remplacées par des regrets irréversible.

Je presse mes paupières de mon pouce et de mon index pour chasser la torture qui accapare mon esprit si tôt, mais impossible de réprimer ça, les remords n'attendent pas la disparition complète du soleil pour me ronger.

1999, il y a presque vingt ans. Que je vis avec la honte de mes choix. Comme celui qui, à ce jour, entaille encore amèrement l'essence de mon cousin. Je vais pas vous mentir. Ni me lamenter sur mon cas. Mon cousin est un supplicié depuis trop d'années pour me gracier, c'est en lui ça maintenant, la rancoeur damnée, ténébreuse. Qui le bousille, mais qu'il n'extériorise jamais.

Voilà ce qu'il est finalement. Un mort qui se prétend vivant. Et une fois mort, un être n'a plus l'occasion de pardonner, n'est-ce pas?

Et, si je croyais que je ne pouvais pas faire plus mal après avoir trahis l'enfance d'un garçon de cinq ans, voilà que mes actes m'ont mené à Durango, 12 mai, 21h26, retrouver le sac poubelle contenant les morceaux de ma fille. Et c'est moi-même, qui en a sorti le bras, le pied, la tête. Dans cet ordre. C'est important de le préciser. Car je n'oublierai jamais la sensation sur mes mains, de ses cheveux noirs autrefois soyeux; devenus gras, secs comme de la paille, et emmêlés par son propre sang. Ma fille, ma fille s'était changée en poupée de cire disloquée. Parce que j'ai manqué à mon devoir de père.

La canette dans ma main, je l'apporte à mes lèvres pour en ingurgiter le fond d'une seule gorgée, puis je l'écrase contre la surface du siège-avant, et ouvre la portière arrière.

En quittant le véhicule, une collection de cannettes de bière vides tombe avec fracas sur le bitume, j'entends le glouglou discret de l'une d'entre elles encore à moitié pleine quelque part en dessous de cette Toyota, tandis que je rejoins Arâan devant le coffre; il jette le pneu crevé à l'intérieur.

_Bientôt finit ? Demandé-je d'une voix cassée en grattant la barbe qui a poussé sur ma mâchoire.

_ouais. Affirme-t-il en refermant le coffre avant de se frotter les mains. On peut reprendre la route.

_hum. Faut pas trop perdre de temps, Chico.

Il ne répond pas à mon commentaire et je fais demi-tour pour fermer mollement la portière arrière en remontant mon jean avant d'ouvrir celle du côté passager et de m'engouffrer dedans. Quelques secondes plus tard, Arâan monte derrière le volant et démarre.

Au final, je me rends compte que pouvoir continuer la route me cause plus de tourmente que de satisfaction. À l'intérieur de ma boîte crânienne, mes pensées sont constamment lardées par le visage de ma fille et de mon cousin, pour me rappeler mes erreurs. Comme d'habitude, c'est toujours la même putain d'histoire qui revient, toute la soirée mon esprit s'est torturé sur mes fautes, comment les corriger, comment empêcher les regrets d'en devenir, mais rien ne s'améliore. Ouais putain, je réitère les mêmes merdes, à croire que le temps ne veut pas me donner de leçon.