Mon regard se pose un peu partout pendant que je me balade avec la brunette dans la favéla. Les rues étroites et tortueuses se faufilent entre les casas délabrés comme des veines dans un corps malade.
Des câbles électriques s'entrelacent au-dessus de nos têtes, formant un réseau complexe qui alimente les habitations en électricité. Des vêtements colorés pendent aux fenêtres, des enfants déchaussés jouent au foot dans les ruelles étroites, et des vendeurs ambulants proposent leurs marchandises sur des étals improvisés. Les soldats du cartel passent de temps en temps dans les ruelles adjacentes à cette rue principale, leurs regards soupçonneux balayant la rue, comme s'ils s'attendaient à quelque chose de sinistre à tout moment.
Pour éviter de les regarder, je baisse les yeux sur le sol jonché de détritus, enjambant les flaques d'eau stagnante où flottent des débris de toutes sortes. L'odeur âcre des égouts emplit mes narines, me donnant la nausée. Ce spectacle me rappelle la dure réalité de ceux qui vivent au bord du précipice. Ouais, le désespoir semble imprégner chaque pierre, chaque centimètre carré de ce territoire abandonné de Dieu.
_ Tu as déjà voulu quitter cet endroit ? demandé-je à Avani.
Avani se tourne vers moi avant de laisser son regard marron se poser sur une vielle femme qui passe en la saluant, Avani la salue en retour.
_ Je suis pas du genre à vouloir l'impossible, répond-elle finalement sur un ton monotone.
_ Quand j'aurai dix-huit ans, je partirai, dis-je, confiante.
Avani se tourne vers moi, puis éclate de rire, moqueuse. Perplexe face à sa réaction, je fronce les sourcils et ralentis les pas, vexée.
_ Sois pas trop ambitieuse, Sofía. Quand tu poses le pied à Jacarezinho, tu signes un contrat d'allégeance. Tu ne peux pas déloger la favéla à moins de trouver refuge six pieds sous terre.
Je déglutis difficilement en me disant que maintenant je suis contrainte de finir ma vie ici et que la seule façon de quitter ce bidonville, c'est de mourir.
_ On peut élaborer un plan pour s'enfuir. On fait mine d'aller en ville ou en vacances, puis on s'enfuit dans un autre pays. Personne n'ira à notre recherche et personne ne nous retrouvera.
_ Transgresse pas les règles, Sofía. Ne te crois pas plus maline que le cartel, ils ont toujours une longueur d'avance, m'avertit Avani. Fuir est la dernière chose à faire ici. Je suis sérieuse, ne fuis jamais. Et encore moins devant un trafiquant si tu tiens à ta...
Avani s'arrête dans sa phrase, en même temps qu'elle ne se stoppe physiquement. Les sourcils froncés, elle balaye du regard ce qui l'entoure, reculant d'un pas puis de deux pas, avant de se tourner vers moi, paniquée.
_ Faut qu'on parte ! s'écrie Avani, préoccupée.
Je fronce les sourcils tandis que Avani m'attrape le poignet pour m'entraîner précipitamment avec elle, comme si elle avait peur de quelque chose. Et quand je regarde autour de moi, je comprends pourquoi. Les gens sont en train de courir partout, s'enfermant chez eux à la va-vite, tandis que les vendeurs abandonnent leurs stands sans se retourner. La rue se vide à vue d'œil, et cela fait naître une panique sourde en moi.
_ Qu'est-ce qui se passe, Avani ?! hurle-je, le cœur battant à en perdre le souffle.
_ C'est le TCM ! Ils viennent de pénétrer Jacarezinho ! crie Avani, essoufflée.
Le souffle coupé par cette annonce, mes yeux s'écarquillent en sentant mon cœur remonter jusqu'au bord de mes lèvres, alors que j'accélère le pas.
Les cris qui s'élèvent viennent tambouriner dans ma poitrine qui est au bord de la crise de panique. Mes larmes me montent en une fraction de seconde, et mon état s'empire dès que les premiers coups de feu se font entendre dans la favela.
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PRATA O PLOMO T.1 & 2 [ En cours d'édition chez AMZ ]
ActionSuite au décès précoce de son père, Sofía s'envole pour le Brésil rejoindre son oncle qu'elle n'a jamais vu avant. Et alors qu'elle pensait s'installer à Rio de Janeiro dont le paysage est festif, la réalité est tout autre lorsqu'elle apprend que so...