Chapitre 35

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Depuis quelques semaines, je ne rencontre que des personnes qui parlent de violence. C'est le seul prisme de leur existence, leur seule motivation, leur seule valeur. Je me retrouve parfois désarçonné par ce vide et surtout par la certitude qu'ils ont que tout le monde ne peut penser que comme cela. Toute action humaine est jugée selon leur seule grille d'identification monolithique, l'argent. Un acte gratuit, la volonté d'aider l'autre, de partager leur semble totalement étranger. Et c'est même louche, cela cache une volonté de faire de l'argent, c'est forcé, il y a un truc. Même les actes les plus anodins sont source de méfiance. Aider une personne âgée à porter ses sacs trop lourds (je dois les rassurer, je ne vais pas m'enfuir avec leurs courses), ou même saluer un habitant...

Les gens sont sur la défensive, méfiants... les valeurs que j'ai reçues par mon éducation fort classique n'ont plus cours. Elles sont perçues comme une duperie (vais-je abuser de la personne âgée sans défense ?, si je salue quelqu'un vais-je lui planter un couteau dans le ventre...? ) J'avais reçu des valeurs qui n'ont plus cours, aider l'autre était la plus belle récompense. Où est passé l'esprit chevaleresque, l'honneur, la dignité ?

J'avais déjà rencontré ce style d'incompréhension quand par exemple j'avais quitté mon cocon familial à contre cœur, pour suivre un homme qui prétend être mon oncle, le frère de ma mère, ma mère que je n'ai jamais connu.

Cela fais un mois entier qui s'est écoulé depuis que je me suis prise une balle dans la cuisse. Je n'ai plus croisé Ángel depuis et j'ai alors recommencé à respirer à plein poumons mais à force de côtoyer la favélas, j'ai compris que ma place ne sera jamais ici. Je fais tache au décors, comme une fourchette malpropre ou peut-être justement trop propre.

J'accompagne mon oncle au marché, ne voulant plus me laisser seule à la favélas, je suis contrainte de le suivre où il va et notamment vendre des légumes à mon tour.

Puis Pedro est devenu un ami proche, il m'a d'ailleurs avoué qu'il m'avais assommé avec une sac de cocaïne parce que je voulais le violer. M'enfin, pas de rappelle pas de rancune. Je m'en souviens pas alors je peux pas lui en vouloir. Avani ne me côtoie plus, je la croise quelque fois mais elle m'évite complètement, esquive mes regards et change de ruelle à chaque fois. Depuis, je reste quelques fois avec Pedro mais ses fréquentations sont des hommes d'Ángel, pas effrayant mais plutôt déroutant.

Leur discussion autour d'affaires tourne généralement autour de l'argent, les sacrifices disaient-ils étaient lorsqu'ils perdaient ne serait-ce qu'une légère partie de leur action.

Ils ont était dressé par Ángel, tout lui reviens. Les morts, l'argent, la misère..tout est commandité par lui. Durant son absence, personne ne veut le décevoir en perdant de l'oseille. Je trouve ça aberrant.

Aujourd'hui, quand je regarde autour de moi, je ne vois plus beaucoup de personnes qui essayent d'être heureuses, de remplir leur vie par une activité intéressante, une passion même si elle n'est pas spécialement lucrative.

J'ai essayé de comprendre pourquoi la favélas a ainsi évoluée, pourquoi elle est devenue plus cynique, plus dure et totalement tournée vers le veau d'or, pourquoi l'argent est le seul but d'une existence qui finira entre 4 planches.

Mais je ne trouve aucune réponse à mes questions.

Des fusillades ont eu lieu, des règlement de compte, parce que quelqu'un n'a pas payé à temp ou parce que l'argent se faisait dérober.

J'ai alors compris une chose explicite, pour décrire Jacarezinho, il y a une seule phrase : prata o Plomo.

L'oseille ou le plomb. Tu paie pas, on te tire dessus. La seule règle d'or qui doit être obéis à la lettre.

_ tu pense à quoi Minha filha ?

Je lève les yeux vers mon oncle qui vient d'encaisser un client puis me lève de la chaise pour remplir le sachet qu'il me tend, de quelques tomates.

_ rien d'important. Combien de kilos ?

_ 500g. Répond-il avant de se tourner vers un autre client

La cacophonie du marché bourdonne dans mes oreilles, des stands de légumes se font face dans toute la ruelle du centre-ville.

Je vérifie le poids sur la balance puis tend le sac à la vielle femme, qui me donne par la suite 12,36 réal brésilien.

Un soupire m'échappe lorsque je pose mes mains sur le bord de la table en bois où sont éparpillés les légumes de mon oncle. Il fais assez chaud aujourd'hui, je lève les yeux vers le ciel ensoleillé et fais un pare-soleil avec ma main droite, en grimaçant face au rayon solaire.

_ tiens, met moi 1k de courgette dans le sac.

Mon oncle me tend un sac que je récupère et le remplis de courgette puis vérifie le poids sur la balance.

Vingt-une heure, le corps encore humide, je passe ma main sur le miroir embué et m'observe, ou plutôt fixe la cicatrice sous ma clavicule. Peut-être que je ne croise plus Ángel, je ne sais pas où il est, ni ce qu'il fais, tout ce que je sais, c'est que je lui appartient.

Cette cicatrice marque mon appartenance à cette homme. Ça me rend folle, tellement dingue que j'ai plusieurs fois penser a déchirer ma peau avec un couteau pour effacer cette Marque.

Mais je me ravise à chaque fois, car je n'ai pas le courage de lacérer mon épiderme.

Je me sèche frénétiquement avec une serviette puis enfile un short et un tee-shirts ample. À peine suis-je sortir de la salle de bain, je tombe sur mon oncle adossé au mur avec une mine contrarié.

Je le questionne du regard sur ce qui lui prend, mais il ne me donne pas de réponse, alors je le fais à voix haute.

_ ça va pas ? Demandé-je d'une petite voix sous son air réprobateur

_ un brun est passé pendant que tu prenant ta douche.

Mon cœur rate un bond. Pedro..pourquoi il est venu toquer à ma casa ? Il est complètement stupide putain. J'entre dans ma chambre mal à l'aise, voulant à tout prix éviter la suite mais mon oncle me suis.

_ apparemment "boucle d'or" veut impérativement te voir demain matin.

Mon cœur rate encore une fois un bond. Mon pouls s'accélère brusquement et je fais violence à moi-même pour pas montrer que je connais "boucle d'or" car mon oncle vrillerai si il apprend que je côtoie un homme et encore plus si cette homme est Ángel, le chef d'un cartel.

_ qui est-il ? Qui est ce brun et qui est boucle d'or ? Sofía ! Tout se passe bien en ce moment alors ne..-

_ je ne les connais pas, ils doivent être des amis à Avani.

Il me fixe méchamment et sort énervé et pas du tout convaincu. Je souffle en me laissant tomber sur mon lit. Ángel est revenu..

Je suis anxieuse, mais ça veut dire quoi au fond, ça, hein?

Ce n'est pas la même chose qu'être stressé. C'est important de le spécifier. Le stress, c'est situationnel : un examen, une première date, un rendez-vous chez le dentiste peuvent le causer. C'est ce sentiment un peu inconfortable dans mon estomac qui me fais me sentir un peu plus aux aguets. C'est la façon qu'a mon système nerveux de me préparer à ce qui s'en vient.

L'anxiété, c'est différent. C'est plus sourd, plus constant. C'est toujours présent, même si, parfois, c'est dormant. L'anxiété me garde éveillé le soir, à me demander qu'est-ce qu'il me veut. Être anxieux ne veut pas dire être illogique : je sais très bien qu'il ne veut pas me voir pour un câlin et c'est ça qui me rend anxieuse.

Non, être anxieux ne veut pas dire être illogique, mais le lien entre la logique et la réalité est plus difficile à maintenir. La peur prend le dessus sur la raison. Mon cerveau s'emballe. L'anxiété, c'est un cerveau reptilien actif en continu ; c'est le hamster qui n'arrête jamais de tourner, parce que d'un coup que quelque chose arrivait le temps qu'on se repose? D'un coup que quelque chose se passait si on arrêtait de s'inquiéter? L'anxiété, c'est de s'inquiéter pour une situation énigmatique. Je ne sais pas si je devrai y aller et je ne sais pas ce qui va se passer demain.

PRATA O PLOMO T.1 & 2 [ En cours d'édition chez AMZ ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant