L'air chaud et humide est monté et a formé des nuages orageux dans le ciel sans prévenir. Il s'est mis à pleuvoir très fort, et ça me rend toute excitée intérieurement. J'ai toujours aimé la pluie, elle fait une musique bien à elle lorsqu'elle tombe sur les toits, par terre ou sur les feuilles des arbres. J'aime voir ses gouttes frapper contre le mur, dégouliner sur les vitres et rebondir dans les flaques comme des sauterelles. Mon père se moquait toujours moi quand je sautillais sur place pour sortir dehors et respirer la pluie. Mais j'étais tellement impatiente de sentir cette odeur si particulière, celle du gazon, de la terre, du bitume.Et puis, il faut aussi avouer que lorsqu'il pleut, notre rythme change. On met tout en pause et on se donne le droit de se gâter un peu, de se blottir dans le canapé avec une couverture, du pop-corn et regarder des DVD à la télévision sans limite. Parfois je lisais un bon livre, en m'asseyant sur le fauteuil de mon père, toujours avec ce même plaid blanc et doux, pendant que lui, il tentait de bricoler quelque chose dans le garage. C'était aussi l'occasion d'essayer de nouvelles recettes, de les rater, et de finalement partir sur des cookies aux pépites de chocolat, parce que c'est la seule chose qu'on réussissait à faire mon père et moi.
Je me rappelle, plus petite, dès qu'il pleuvait très fort, je sortais dehors. Et j'allais sous la pluie avec mon imperméable fushia, et mes bottes en caoutchouc pour sauter sur les flaques qui s'accumulaient dans l'allée qui serpentait le jardin; du portail jusqu'à la porte de la maison. La pluie à San Francisco apporte un peu de fraîcheur, nettoie la ville, embellit les paysages.
Ce qui n'est pas le cas à Jacarezinho, ici c'est différent. La pluie remue et expose les déchets. Il y a une odeur verte et terreuse, mais les odeurs naturelles ne réussissent pas à masquer l'odeur de la pollution et des poubelles. Et il fait toujours aussi chaud malgré la pluie. Autour de trente degrés, je dirais. Et comme l'humidité est élevé, alors ça rend la chaleur insupportable.
Debout sous le toit d'une casa, je tends timidement la main et laisse les gouttes caresser ma paume, s'accumulant doucement dans le creux de ma main, avant que je ne laisse tomber le filet d'eau par terre, en éternuant.
Je sens ma peau frissonner, ce qui me signale qu'il est grand temps de rentrer avant de tomber malade. Je suis déjà assez trempée pour l'être en plus.
Je finis par ranger ma main contre moi et reprends ma route vers ma casa. L'après-midi a été assez calme, on a bien rigolé avec Rio, il m'a même proposé de se revoir demain au terrain pour qu'il m'apprennes à mieux taper dans un ballon. Avani et Teraw, eux, sont partis du terrain sans prévenir pour aller je ne sais où. Quand je me suis rendue compte qu'elle n'était plus là, j'ai décidé de rentrer, mal à l'aise d'être seule avec Rio. J'en veux un peu à Avani de m'avoir laissé en plan, sachant pertinemment que je ne suis pas en forme mentalement.
En voyant que je suis bientôt arrivée à la rue de ma casa, je me sens un peu plus rassurée. Le trajet n'a franchement pas été long, je commence à bien connaître le chemin pour aller du terrain jusqu'à chez moi. Je reconnais d'ailleurs les casas en briques de cette allée, plus loin, il y a celle que je peux voir depuis la fenêtre de ma chambre.
J'allais m'enfoncer dans ma rue, quand d'un coup, je sens une main m'empoigner brutalement la nuque et me tirer en arrière. Mes yeux s'écarquillent sous la panique qui m'assiège et qui fait palpiter mon cœur, sachant pertinemment qui est derrière moi.
C'est réellement la dernière personne que je voulais croiser, Avani a dit qu'il n'était pas à la favéla, elle l'avait dit! Pourtant je sens son odeur corporelle - de tabac et de sueur - titiller mes narines. C'est lui! Je ne peux pas me tromper.
Je cligne des yeux pour ravaler mes larmes lorsque la pression sur ma nuque se fait plus forte. Mes épaules sont recroquevillées et crispées. Il me tire sans un mot et me force à avancer à côté de lui, pendant que des spasmes d'effroi traversent l'intégralité de mon corps, je suis frigorifiée par le froid de la pluie et par la terreur que me procure Ángel.
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PRATA O PLOMO T.1 & 2 [ En cours d'édition chez AMZ ]
ActionSuite au décès précoce de son père, Sofía s'envole pour le Brésil rejoindre son oncle qu'elle n'a jamais vu avant. Et alors qu'elle pensait s'installer à Rio de Janeiro dont le paysage est festif, la réalité est tout autre lorsqu'elle apprend que so...