Chapitre 67

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Luís

Seul, j'ai marché longtemps et maintenant il y a comme de l'eau dans mes yeux. Ton courage, ton obstination m'ont insufflé la force et le désir de courir après mes rêves. Ces rêves ne sont pas les meilleurs. Ni les plus grands, ni les plus beaux, mais ils sont miens. Tu m'as fait comprendre qu'il faut essayer de trouver le meilleur des compromis pour soi-même au lieu de courir après un vain idéal. Tu m'a appris qu'il faut se focaliser sur nos forces et non nos faiblesses. Qu'il faut composer au mieux avec le temps imparti ici bas. Certains vivent longtemps, certains vivent peu, d'autres se contentent d'exister. Toi tu te battais chaque jour pour reculer l'échéance.

Tu es morte à l'heure actuelle mais je prend soin de ta fille. Je pensais que tu avais accouché d'un petit garçon mais les années m'ont sûrement brouillés l'esprit. D'ailleurs, petite sœur, je fais comme je peux pour que tu sois fière d'elle de là haut. Je ne sais pas si je m'y prend bien, ne sois pas déçu d'elle. C'est compliqué de nager à contre-courant. De se battre contre ses propres démons, contre ses peurs, contre soi. On est si imparfait, on fait tant d'erreurs. Mais on apprend. Mais on comprend. Et on accepte cette vérité. On sèche nos larmes et on avance.

Petite sœur, sur le ring de la vie, on ne t'a pas fait de cadeaux. On t'a mis au tapis plusieurs fois. Mais toi, tu te relevais. Encore et encore. Tu rendais coups sur coups. Je t'imaginais toujours, regardant avec hargne face à la fatalité qui te mettait à genoux et ressortant un "I will be back" digne du meilleur de Terminator.

Petite soeur, ton adversaire était impitoyable, méthodique, patient. Tu savais que tu allais perdre mais tu as résisté malgré tous les pronostiques les plus fatalistes. Et cette résistance signifiait pour toi accepter ces petites joies qui nous paraissent si insignifiantes. Tu pouvais rayonner pour un rien alors que l'on se lamente au quotidien. Ces pô juste, aurait dit Titeuf. En effet, il n'y avait pas de justice à te voir faner peu à peu sur ta chaise roulante. Mais tu trouvais encore la force de sourire. Tu trouvais encore la force de me sourire.

Petite soeur, un samedi matin, après 20 ans de lutte contre les maladies qui t'ont rongé peu à peu, ton calvaire prit fin. 20 ans durant lesquelles on t'arracha la vue, l'ouïe, ta motricité, tes facultés... Tu as passé ces derniers mois à l'hôpital. Ce fut pour nous un grand huit émotionnel. Oscillant entre l'espoir de te voir sortir pour quelques temps encore avant de replonger brutalement. Et puis un matin, l'accalmie soudaine avant la tempête de larmes. C'est fini. Pas de Happy End comme dans les films.

Lors de ma dernière visite, je ne t'ai pas dit adieu. J'espérais te revoir loin de ton lit d'hôpital. J'espérais te serrer une dernière fois dans mes bras. J'espérais te parler de mes dernières et prochaines aventures, te dire que je t'aime. J'ai appris la nouvelle dans mon lit, au matin. Je ne voulais pas y croire, comme dans un mauvais rêve. J'avais la voix chevrotante, lointaine. C'est une autre personne qui répondait mécaniquement à notre père en pleurs, ce n'était pas moi. J'ai mis ma douleur dans une boîte. Comme je le faisais depuis toujours. J'ai toujours été bon à ce jeu là. Je me suis forcé à me rendormir pour oublier. Comme si le sommeil allait chasser la réalité. Te voilà partie. Enfin je crois. J'ai du mal à m'y faire. Il nous faudra du temps. Tu laisses un grand vide en mon coeur. Je me console en me disant que là où tu es, tu ne souffres plus.

Lorsqu'un cris joviale retentit en-dehors de ma camionnette, je sort de mes pensées mélancolique et regarde autour de moi comme si j'avais oublié où j'étais.

Je laisse un dernier regard vers la photo de ma défunte sœur puis la replis en quatre pour la ranger dans la poche de ma chemise à manche courte en carreaux.

PRATA O PLOMO T.1 & 2 [ En cours d'édition chez AMZ ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant