Aliénée. J'ai l'impression d'avoir été aliénée ces derniers jours. J'étais moi, et en même temps, je ne l'étais plus. Je n'avais jamais dit non à la nourriture avant, je ne m'étais jamais renfermée au point de négliger ma santé ou mon hygiène. Aller mal c'est normal, mais je ne veux plus aller mal, je veux redevenir moi. Je veux revivre normalement. Il faut juste que je me persuade que ça va aller, que ma culpabilité m'a assez torturé. Je ne sais pas si je me sens ridicule d'être autant dans le mal, je n'ai pas de réponse à ce sentiment-là, parce que je trouve que ma réaction est totalement justifiée. Tout le monde se serait retrouver dans cet état à ma place, parce que les humains c'est ça; on se met à la place de ceux qui souffrent, on imagine leur douleur. Et moi, c'est ce que j'ai fait. Et je ne connais l'horreur de ce monde, alors je ne sais pas comment réagir autrement face à tout ça.Je me triture les pieds en regardant Avani cuisiner pour moi. Après la douche, elle a jugé primordial de me faire manger quelque chose, alors elle a coupé des rondelles de pommes de terre et les a fait cuire dans une poêle avec un carré de beurre. À présent, elle sort des œufs du frigo, et je me mets à penser que, je ne sais pas ce que je serais devenue sans elle.
_ ça aurait pu être pire..dit-elle dos à moi en train de verser dans la poêle, les œufs qu'elle a touillé dans un bol.
Je redresse un peu plus la tête, perplexe. Qu'est-ce qui aurait pu être pire ?
_ Je veux dire...il aurait pu te faire subir pire. Je comprends que ça t'ait traumatisé, t'es fragile et t'y connais rien, mais dis-toi que ce que tu as vécu n'est rien comparé à ce dont il est capable. Je parle en connaissance de cause. Ça fait dix-huit ans que je vis ici, et depuis petite, j'en ai vu des choses. Ça fait des années que les gens vivent sous le contrôle d'Ángel, et tu sais pourquoi il contrôle autant de monde ? Parce qu'il ne craint rien ni personne. Il n'a aucune limite, il pourrait même brûler vif un enfant sans la moindre hésitation si celui-ci lui marchait sur les pieds sans faire exprès.
Ma poitrine se crispe instantanément face à l'horreur de ces mots.
_ il..il l'a déjà fait ? Demandé-je faiblement
Elle pose une assiette d'omelette à la pomme de terre devant moi avant de s'assoir sur une chaise.
_ non. Mais ça m'étonnerait s'il le faisait, hausse-t-elle une épaule. En revanche, ce qui m'étonne, c'est qu'il t'ait rien fait.
_ tu rigoles ? C'est pas suffisant de me forcer à regarder une chose pareille? m'écrie-je les doigts tremblants autour de la fourchette.
_ Sofía. D'accord, ce que t'as vu est horrible, je dis pas le contraire. Mais il t'a rien fait physiquement. Et sachant qui il est, je suis surprise qu'il t'ait laissée en vi...indemne
_ j'aurais préféré mourir que de voir ça...murmuré-je sincèrement
Elle m'observe, offusquée, pendant de longues secondes, puis se reprend et s'approche de moi pour prendre doucement la fourchette dans mes mains, elle coupe un morceau du plat et le dirige vers ma bouche.
_ arrêtons d'en parler. Je suis là pour te changer les idées.
Je me force à manger mon omelette, même si chaque bouchée me donne envie d'aller tout rejeter au fond de toilettes. Après avoir finis mon assiette, Avani débarrasse pour moi, puis nous allons dans ma chambre.
_ Il fait chaud. Se plaint-elle en venant s'assoir à côté de moi sur mon lit. Comment tu fais pour respirer là-dedans?
Je hausse les épaules en ramenant mes jambes contre ma poitrine. Mon dos posé contre le mur, je la regarde se ventiler avec sa main sans un mot.
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PRATA O PLOMO T.1 & 2 [ En cours d'édition chez AMZ ]
ActionSuite au décès précoce de son père, Sofía s'envole pour le Brésil rejoindre son oncle qu'elle n'a jamais vu avant. Et alors qu'elle pensait s'installer à Rio de Janeiro dont le paysage est festif, la réalité est tout autre lorsqu'elle apprend que so...