Chapitre 18

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L'eau tiède ruisselle sur ma peau nue, alors que mon esprit rejoue en boucle l'horreur de São Paulo. Je revois cette scène encore et encore, comme un film qui n'a pas de fin. Je peux sentir l'odeur âcre du sang, entendre le fracas des coups de feu résonner dans mes oreilles. Sentir à nouveau chaque goutte de sueur froide glisser le long de ma colonne vertébrale. Les cris des habitants en bruit de fond. Les battements de mon cœur dans le creux de mes tympans.

Et au centre de tout ça, il y a ce visage cruel. Ángel. Et ce sourire de satisfaction tordu sur ses lèvres alors qu'il fusille le corps d'un homme.

J'ai déjà fait face à la mort, celle de mon père, mais la sienne avait l'air plus douce comparé à la violence dont cet homme est mort, l'entrejambe perforé par toutes les balles qu'Ángel lui a tiré sans aucune pitié, et je revois ce corps par terre, baignant dans son propre sang. Je me rappelle de tout. Chaque détails, de sa peau noir qui allait avec la couleur bleu orage de son short, à sa claquette qui a quitté son pieds lorsqu'il est tombé au sol, jusqu'à la teinte rouge du sang qui s'élargissait autour de son corps.

Soudain, je fronce les sourcils en sortant de mes pensées, sentant que les gouttes d'eau qui tombent sur moi ont une teinte différente. Je lève la tête vers le tuyau au-dessus de ma tête, qui sert de pommeau de douche, et écarquille les yeux en voyant du sang en sortir à la place de l'eau.

Le coeur au bord des lèvres, je baisse les yeux à mes pieds et vois une marre de sang s'étendre sous moi. Je crois m'entendre crier alors que je recule précipitamment, heurtant le mur derrière moi.

L'impact me sort de ma torpeur. Et soudain, l'eau réapparaît limpide. Mes poumons semblent s'être asséchés avant de revivre, je respire brusquement, haletante. Ma poitrine se soulève rapidement, et mes jambes me lâchent, je ne sais même pas si c'est moi qui me suis laissée tomber.

Je pose ma main tremblante sur le mur, en m'efforçant de réguler la cadence de ma respiration, sans quitter l'eau des yeux, par peur qu'elle ne redevienne rouge. Je décide de ne plus rester sous la douche, détruite par ces images cauchemardesques qui me hantent depuis que je suis rentrée de Sao Paulo, avant-hier.
Je m'enroule dans une serviette et vais trouver refuge dans mon lit.

Je me recroqueville sous mon drap, cherchant refuge dans l'obscurité ténue de ma chambre. Le temps est doux, presque moite cette nuit, mais il n'y a plus rien de la beauté nocturne. À la place, règne un silence sinistre, enveloppant tout dans son étreinte lugubre. Alors que je m'abandonne au sommeil, je perçois seulement les battements affolés de mon propre cœur, ma tête alourdie par les pensées qui tournent sans fin. Je tombe, sans un bruit, dans les abysses du sommeil; une chute sans répit.

Je me réveille brusquement en sursaut. En hurlant, je me sens encore imprégnée par les échos du cauchemar, où je le revois, le cadavre de cet homme, qui m'accuses de sa mort, qui répète que c'est moi, que c'est ma faute, que c'est moi qui l'ai tué! Puis il me pousse brutalement dans les flammes, celles de l'enfer, brûlantes, dévorantes.

Et je me sens comme engloutie dans les sables mouvants, tentant de me soustraire de ce feu qui consume chaque parcelle de ma peau. Et je crie, je crie, plus je crie, puis les flammes grossissent. Jusqu'à me prendre toute entière.

Le temps qu'il me faut pour me calmer, c'est le temps qu'il faut pour que les dernières images de mon cauchemar se dissipent de ma vision. Je prends plusieurs minutes pour reprendre mon souffle. Et je sens comme ma gorge est sèche, et ma peau transpire de tous ses pores. Je repousse rapidement mon drap pour échapper à la chaleur qui m'étouffe. Et un coup d'œil à la fenêtre, me signale qu'il fait toujours nuit.

Seigneur...

Chaque nuit, c'est la même chose, je fais le meme cauchemar, celui où les flammes me réduisent à une carcasse brûlée, une enveloppe déchirée par la souffrance, une âme en lambeaux. Ma peau se craquelle, se détache, révélant une chair ravagée par les flammes de l'enfer.

PRATA O PLOMO T.1 & 2 [ En cours d'édition chez AMZ ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant