Thermiscyre, notre cité, est paisiblement endormie. La fraîcheur de la nuit redonne des forces à nos corps épuisés ; les vents chauds de cette année de sècheresse sont accablants. Je n'arrive pas à dormir. La conversation que j'ai surprise cet après-midi me met dans un état d'excitation extrême. J'ai découvert un passage très ancien, probablement secret, reliant le temple des vierges d'Artémis au palais royal de ma mère, la reine des Amazones. Âgée de seize ans, je finis, comme toutes les jeunes filles, les bases de mon éducation : la traque, la chasse, la forêt, le tir à l'arc, l'équitation et l'art délicat d'accommoder les plantes. Bientôt je devrai rejoindre le temple d'Arès dirigé par la stratège, ma sœur Hippolyte, et entamer ma formation militaire. Pour être honnête, j'ai dépassé d'un an l'âge limite : je ne suis pas pressée de me retrouver sous les ordres de mon implacable sœur ! Mais j'ai trouvé la parade : j'ai imploré Isoha, la Grande Prêtresse d'Artémis, de parfaire mes connaissances médicinales. Je suis plutôt douée. J'ai gagné un peu de répit et je préfère de loin rester fidèle à ma réputation frondeuse en explorant les lieux cachés du palais.
Aussi, en milieu de journée, dissimulée dans une double cloison de la salle du trône, tout près de l'estrade royale, j'ai pu entendre ma mère, recevoir le pirate Méphistès. Le son des pas de ce géant au teint de craie martelaient son assurance. C'est un des rares hommes autorisés à pénétrer dans la deuxième enceinte du palais. Sa visite était inattendue à en juger par la tenue familière de ma mère, vêtue d'une simple tunique courte de lin blanc, retenue à la taille par la lourde ceinture de cuir où pendent son glaive et ses meilleurs poisons. Mais il est vrai que, malgré son âge mûr, ma mère n'a besoin d'aucun ornement pour mettre en valeur la beauté hautaine de son visage. A lui seul, son regard sombre et décidé, impose sa majesté. Ce forban ne s'y est pas trompé et, malgré l'affection que la reine lui porte, c'est avec respect et les formules d'usage qu'il est venu solliciter un accostage pour la flotte atlante qui revient d'une bataille chèrement gagnée contre les Hyksôs. À ce dernier nom, ma mère a semblé refouler une vague d'appréhension. Son teint hâlé a pali, j'en suis sûre. Cela m'a troublée. Jamais je n'ai vu ma mère ressentir une crainte quelconque ; pourtant le nom des Hyksôs l'a ébranlée. Je ne me suis pas attardée davantage : les Atlantes vont accoster chez nous, dans notre port ! Cela seul retient mon attention. Depuis tant d'années, je fixe au loin, très loin à l'horizon, la lumière ténue et changeante qui, paraît-il, indique l'entrée de leur île. L'Atlantide ! La cité aux sept remparts. La cité blanche, fille de Poséidon où, dit-on, les hommes possèdent le feu des dieux. L'Atlantide, la cité interdite dont les habitants se mêlent si peu au commun des mortels. Ils viennent chez nous ! Je vais voir des Atlantes !
Une fois dans mon dortoir, comment dormir ? Je me lève discrètement sans réveiller mes compagnes. Akra la plus vieille de mes louves vient me rejoindre près de la grande travée ouverte sur la sombre forêt du temple. D'un regard, d'un souffle, elle comprend qu'elle doit me laisser seule dans cette aventure. J'attache mes boucles sombres si peu communes aux femmes de mon peuple pour qu'elles ne me trahissent pas et me faufile à travers les croisées de bois, échappant à nouveau à la vigilance de nos surveillantes. Je descends la treille contre le mur pour parvenir non sans peine aux bois épais bordant le bâtiment des vierges. Là, j'espère traverser la distance qui me sépare des remparts pour m'approcher suffisamment du port et monter dans le plus haut des chênes. De sa cime, j'observerai l'arrivée des navires atlantes. Mais il reste les chasseresses. Il faut que je respire la nuit, que je devienne la nuit, que je disparaisse, ombre parmi les ombres, sans un souffle de vie. Je sais faire cela, devenir moins que le vent, moins que le loup tapi dans les fourrés. Je peux passer entre les arbres sans que nulle ne m'aperçoive. J'ai réussi ! Je suis à présent tout près des murailles. Je connais le chemin par cœur : monter ne sera pas un problème. Je suis la meilleure des éclaireuses. Les bois sont mon terrain de jeu favori. Je me hisse sur une lourde branche, et me blottis à l'abri du branchage. Une question m'intrigue : pourquoi les Atlantes viennent-ils chez nous ? Leur île n'est pourtant qu'à quelques encablures de notre royaume, si fortement inhospitalier à un peuple d'hommes.
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Déluge
FantasyAlia sait qu'elle va mourir. Sa sœur la tuera lors du combat de succession au trône des amazones. Elle n'a pas peur, la mort est une vieille compagne qu'elle attend en profitant de sa liberté. Mais un navire étranger bouscule son destin. Elle va dev...