Alia

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L'appartement est vide. Cyrène ? Iolass ? S'il s'est enfui, je suis bonne pour lâcher mes louves à sa poursuite. Je peux imaginer les reproches de ma mère et les brocards d'Hippolyte. Incapable de garder un seul, un malheureux petit esclave. Je me précipite vers les thermes. Bon ! Il est là, barbotant comme un enfant dans le plus grand bain. Je reste à la porte, subjuguée. Je devrais tourner les talons. Je devrais céder aux appels de Psyché qui veut me prendre par le bras pour me préparer. Nous avons perdu tant de temps.

À la vérité, mes deux pieds sont vissés au sol et, malgré moi, mon esprit plonge dans une étrange contemplation. L'eau ne glisse pas sur lui, elle l'enveloppe amoureusement pour épouser avec tendresse chaque courbe de ses muscles. L'aspect nacré de sa peau diaphane luit discrètement dans la lumière pâle des mosaïques opalines. Sa chevelure transparente ondoie liquide selon les affres du courant. Une avidité inattendue s'empare de moi et me terrifie. J'aurais presque pu le rejoindre s'il ne s'était pas retourné. Son regard me traverse. Il sourit. Je devrais rester de marbre, je devrais rester détachée mais je suffoque prête à étouffer. Les battements de mon cœur affolent mon sang jusqu'à m'étourdir. Il sourit toujours. L'iris perle de ses yeux gris, limpides, captive les miens. Des vagues de lumière et d'eau miroitent dans une danse vertigineuse. Il sourit encore. Au-delà de lui, je perçois sa présence, son souffle tiède contre ma peau. Un frisson renforce mon trouble. Pas d'autre choix, la fuite.

Je m'abandonne à Psyché qui me tire violemment sur un siège. Je la laisse m'asseoir sèchement. Elle me présente plusieurs tenues que je ne vois pas tout d'abord. Mes yeux fixés sur le miroir, je le vois repousser l'onde. Je crois qu'il peut glisser sur la surface fluide sans qu'elle n'en soit émue. Je rêve. Il nous rejoint. Mon esprit ne peut me trahir. Je me compose un air stupide de sérénité :

_ Où est Cyrène ?

_ Je l'ignore.

Ce n'est pas du tout ce que je veux entendre. Je me retourne, espérant le clouer d'un regard effroyable. Il le fait exprès ! Plus aucun doute ne m'est permis. Il sent mon désarroi et prend un malin plaisir à l'augmenter. Vêtu d'un simple pagne, il se tient négligemment appuyé dans l'encadrure de la porte. L'eau ne coule pas sur son corps. De fines gouttelettes l'accompagnent jusqu'à fondre dans le velouté de sa peau pâle. Plus autoritaire, je renouvelle ma question :

_ Où est Cyrène ?

_ Je vous l'ai dit, je l'ignore. Votre tante est venue la chercher.

_ Ma tante ?

Ce mot m'est inconnu. Comment le traduit-il ?

_ Oui, votre tante, Isoha.

Ainsi, elle m'aidera. Voilà qui me ramène plus bassement vers des préoccupations moins troublantes. Une détermination nouvelle s'empare de moi. D'abord parce qu'elle me rassure, ensuite parce qu'elle est nécessaire. Pénétrer les navires hyksos ne sera pas une mince affaire, même si je suis la meilleure des éclaireuses et que le terrain est à mon avantage. Iolass perçoit ce changement et déclare qu'il doit se préparer. 

DélugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant