Alia

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Je reste sur le seuil craintive. Affronter l'ignorance et découvrir qu'elle s'est envolée. L'expérience est très tentante mais je n'ose pas. Iolass s'assoit en tailleur, examinant avec soin les deux rouleaux déposés sur une table basse. Il saisit le premier, défait la lanière de cuir et le parcourt attentif. Ses yeux dansent régulièrement, ses mains déroulent le papyrus avec une tranquillité profonde. J'envie son visage pensif, lisse, absorbé par les mots qui naissent à son regard. Je disparais de son univers, pour un temps je le sais bien, mais ce temps volé, capté par les intrigues d'Hippolyte me ronge plus que de raison. C'est absurde, le comble du ridicule. Je voudrais étouffer ce sentiment minable, malheureusement j'en suis incapable. Inutile de lutter, j'ai une alternative. J'entre, laissant ma main droite filer le long des étagères, effleurant quelques tablettes de cire qui marquent les alcôves remplie de rouleaux.

Des images me sautent à la gorge : un chantier pour la première, les odeurs et les bruits des marchés à la seconde, le brouillard poussiéreux d'un champ de bataille à la troisième. Je suis prise alors d'une joyeuse frénésie. Je vais de tablette en tablette, saute comme un cabri d'allée en allée, de salle en salle. La bibliothèque est immense, bien plus grande que je ne l'ai jamais envisagée. Tous les thèmes sont représentés : beaucoup d'archives bien sûr (elle avait été conçue pour cela) mais aussi l'architecture, la cuisine, les chants, la navigation, les plantes, la médecine !

Des visages familiers m'assaillent tout à coup m'arrachant un cri de surprise. La tablette se fend en deux sur le sol. Sorti de ses réflexions, Iolass arrive au pas de course.

_ Tout va bien ?

Je rougis, honteuse comme l'enfant qui vient de faire une bêtise. Sincèrement désolée, je lui tends la tablette brisée en lui demandant de me la déchiffrer. Il hésite intrigué :

_ J'ai cru que cela fonctionnait.

_ Cela fonctionne, mais je doute que l'on puisse appeler cela lire.

Il acquiesce.

_ Ce sont les chroniques de ton peuple. Toute l'histoire des Amazones est consignée dans cette partie.

Voilà qui explique pourquoi le visage des reines défuntes m'est apparu. Au passage, j'ai attrapé un mal de tête particulièrement désagréable. Je soumets mon esprit à trop de fantaisie ces derniers temps, je dois être prudente. Iolass, lui, semble distant, frustré. Il ne parvient pas à comprendre où se situe le problème décelé par ma sœur.

_ Veux-tu que j'essaie ?

L'idée lui paraît d'abord incongrue puisque je n'arrive pas vraiment à lire mais il finit par se laisser fléchir. Je m'empare du premier :

_ Des lingots, de plomb, d'étain et de fer ?

_ C'est normal, ce sont des livres d'inventaire. Rien d'autre ?

Je hoche la tête. Non, rien de plus précis. Je saisis mieux sa frustration. Je prends le second :

_ Des armes ! Des lances, des cuirasses, des casques et des épées. Beaucoup d'armes.

_ Même chose, l'inventaire du temple d'Arès.

Je ne vois rien qui ne puisse l'aider. La déception se lit sur son visage. Je suis désolée. Il ne m'en tient nulle rigueur mais sa frustration est plus palpable encore. Soudain un rire franc interrompt notre tête à tête : Larchos ! Sa présence me met mal à l'aise. Je n'ai jamais eu pour lui que le respect très inférieur dû à l'esclave préféré de ma mère. Aujourd'hui je sais que je suis de son sang, qu'il fait de moi la terre, qu'il entre dans mon monde d'une manière si inattendue... Cela ne devrait rien changer mais me revient en mémoire le visage implorant du roi de l'Atlantide quand il m'a suppliée de sauver son fils. Me revient ce manque insidieux qui m'a frappée alors. Je ne sais s'il m'est permis de voir en lui un « père », d'ailleurs que signifie pour lui une fille ? Un autre visage me revient en mémoire, plus sanglant, assoiffé de pouvoir, torturé sous mes yeux d'enfants. Je chasse cela.

DélugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant