Elle reste pétrifiée. J'y suis allé sans doute un peu fort. Elle l'a bien cherché. Puisqu'elle veut un atlante comme jouet, autant qu'elle en connaisse toutes les possibilités. En revanche, sa panique tout à l'heure était démesurée, incompréhensible. Mais il est malvenu de m'en préoccuper maintenant. Cette gamine avait besoin d'une bonne leçon, pour sûr, elle l'a eue.
Je refais le trajet inverse pour récupérer mon cheval et trouve non sans mal du bois sec. À mon retour, elle a déjà mis à l'abri son sauvage compagnon. Un orage menace. La grotte est suffisamment large et profonde pour qu'hommes et chevaux soient en sécurité. Je m'inquiète. Où est sa meute ? Mais elle me répond que ses loups veillent à ce qu'aucun animal sauvage n'approche. Bien, si elle est sereine, pourquoi ne le serai-je pas aussi ? Elle grelotte. Entre chaque mot, ses dents s'entrechoquent. L'eau du lac est froide en cette saison et mon insensibilité d'atlante m'a rendu totalement inconscient. Voilà que je m'en veux. Inutile de tergiverser, je me hâte de faire du feu.
_ Tu devrais te changer, tu es trempée jusqu'aux os. Je vais sortir, tu seras plus à votre aise.
_ Pourquoi ?
En toute innocence, elle s'approche de Bélérophon et tire d'une sacoche, une rustique robe de laine qui n'a rien d'amazone. Je me lève et commence à sortir.
_ L'orage éclate, pourquoi tiens-tu à sortir ?
_ Et bien tu vas te déshabiller, expliquè-je puisque le tutoiement est à nouveau de rigueur.
Elle me regarde penaude. Vraiment, elle ne comprend pas. Je me rassois confus. Évidemment, chez elle, peu importe la pudeur. L'homme n'a pas intérêt à broncher, il le paierait de sa vie. Alors pourquoi s'en faire avec une pudeur raffinée ? Chasseresse ou guerrière, toutes sur un pied d'égalité. Le corps nié jusqu'à l'extrême. Sur l'Atlantide, les choses ne sont point ainsi. Je n'ose même pas imaginer ma sœur, Atalante, créature de gynécée, dans une telle situation.
Alia, elle, effeuille le plus naturellement du monde son corps insolemment sublime. Ses longs cheveux mouillés glissent habilement sur ses épaules dorées et serpentent sur sa poitrine. Tiens ! Il me semble pourtant que la légende veut que ces femmes n'aient qu'un sein, pour mieux tirer à l'arc. Alia n'est pas une guerrière. Peut-être est-ce pour cela qu'elle a échappé pour l'instant à l'ablation ? Il faut dire que cela serait dommage. Je souris puis refreine aussitôt la vague de désir qui m'a envahi. Un détail m'y aide. Elle remonte sa robe sur ses épaules après avoir relevé ses cheveux à l'aide d'une dague.
_ Alia ? demandè-je posément la faisant pourtant sursauter.
_ Oui ?
_ Pourrais-tu ? Enfin accepterais-tu de me la montrer à nouveau ?
_ Quoi donc ? s'inquiète-t-elle.
_ Ta cicatrice.
Elle s'avance vers moi étonnée et dévoile le côté droit, nu sous sa robe. Sur son dos, partant de son omoplate jusqu'au milieu de la colonne, une fine zébrure parcourt sa peau. Légèrement plus pâle, la blancheur du trait est trop caractéristique pour que le doute me soit permis : des Atlantes. Seuls nos chirurgiens ont pu laisser une trace aussi parfaite. La question demeure : comment et quand. Mon air soucieux, mes doigts nerveux sur sa peau l'invitent à me donner davantage d'explications. Tombée quand elle était petite. Mon œil ! La chute a dû être lourde. Et quelle chance que des Atlantes soient juste dans les parages. Quel âge ? Trois ou quatre ans, elle ne s'en souvient plus. Décidément pas beaucoup de mémoire, ma princesse. Trois ou quatre ans ? Moi, je devais en avoir... Huit ! Des visages du passé surgissent : mon père furieux mais aussi sa mère... C'est ça ! Je l'ai déjà vue... Sur notre île ! Le tumulte d'une dispute... Oui, bien sûr ! Comment ai-je pu oublier ? Mais alors ? Non ! C'est impossible ! Je ne peux y croire. Ce n'est pas la reine qui m'a manipulé. Si je tenais Méphistès. Mon père ! Notre propre père m'a piégé!
VOUS LISEZ
Déluge
FantasyAlia sait qu'elle va mourir. Sa sœur la tuera lors du combat de succession au trône des amazones. Elle n'a pas peur, la mort est une vieille compagne qu'elle attend en profitant de sa liberté. Mais un navire étranger bouscule son destin. Elle va dev...