Iolass

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Les Amazones se préparent au combat. On nous a mis à l'écart. Les guerrières ont fait irruption en nombre dans l'andréion. J'en conclus que ma requête de participer à l'expédition d'Alcantara a été rejetée. On nous surveille. Hippolyte se méfie des hommes. Ce n'est pas justifié. D'ailleurs elle n'a pas mis les pieds ici depuis le soir du conseil. Aucune information, aucune rumeur ne nous parvient.

Baal est nerveux ; jamais sa maîtresse ne s'est conduite de la sorte. Il tâche de se faire oublier. Il craint pour son fils. Bien qu'Alia l'ait marqué, les enfants sont rares dans l'andréion. Il lui interdit de quitter notre cellule et y passe lui-même la plupart de son temps. Tibaal est un petit garçon intelligent et calme pour son âge, tristement habitué à la captivité. Il garde cet air sévère et apeuré que nous lui avons connu à Alcantara. Je décide de passer à l'action. Plus libre de mes mouvements que mes compagnons grâce au sceau d'Alia, je déambule dans les couloirs agités du palais et glane ça et là quelques nouvelles.

D'après les trois frères du Nord-Ouest, les gardes ont envahi l'andréion à peine après notre départ pour le fort d'Alcantara. Un air de délation s'est insinué dans notre prison. Larchos a, malgré les protestations de la reine, été soumis à la question par Hippolyte. Malgré son âge, il a résisté et réside depuis consigné dans ses quartiers. L'aveugle a été emmené, lui aussi, mais il n'est jamais revenu. Il doit avoir succombé. Hippolyte n'est pas femme à s'encombrer de scrupules dans la torture.

Par précaution, je reprends un entraînement militaire. Si je ne participe pas à l'expédition, je ne peux exclure d'avoir à défendre la cité. On nous laisse faire. Je repère, parmi les amants d'Hippolyte et ceux de la reine, plusieurs hommes dont les attaches au territoire amazone ne peuvent être mises en doute : soit parce qu'ils ont acquis une position qu'ils n'auraient jamais eue chez eux, soit parce que leur terre d'origine est trop lointaine pour espérer un quelconque retour. L'avantage avec les Hyksos, c'est que leur nom haï de tous suffit à créer des vocations.

Au matin du cinquième jour, quatre guerrières viennent me chercher. Elles m'escortent jusqu'à la salle du trône. Hippolyte ? Sur le trône royal ?

_ Où est la reine ?

La guerrière ne se départ pas de sa dureté naturelle mais ma question est légitime, elle ne relève pas mon offense.

_ À Ignis. Elle juge ma manière de gérer les choses un peu trop musclée. Nos armes sont refondues et forgées avec les conseils de l'aveugle. Des éclaireuses surveillent les lieux. Que savez-vous des hommes sans marque ?

La question m'interpelle. Et elle, qu'en sait-elle ?

_ Vous en avez pris ?

_ Disons que le gouverneur de la forge nous a surpris. Un tel niveau de fanatisme chez un homme est plus qu'inquiétant. Il est mort en jurant qu'il protégeait la seule vraie reine...

_ La vierge d'Artémis.

_ Vous le savez ? s'étonne la stratège.

_ Ils ont tenté de m'assassiner. Ça crée des liens.

_ Voilà qui est intéressant. Vous auriez dû me le signaler.

_ Vous n'êtes pas ma maîtresse.

_ C'est juste. Qu'en pense Alia ?

_ Il est exclu que ce soit elle. Je pencherai pour votre tante, personnellement.

_ Isoha ? rit-elle nerveusement. Elle n'a aucun goût pour le pouvoir.

_ Mais elle aime votre sœur comme une mère. À quel point protègerait-elle son élève ?

_ Pas jusqu'aux Hyksos, certainement pas.

_ Alors qui ?

_ J'ai bien ma petite idée mais ni ma mère, ni Alia ne seront prêtes à l'entendre. Il faudra le prouver.

_ Qui ?

_ La seule personne qui ne peut supporter qu'Alia s'éloigne d'elle, encore moins que le duel puisse la tuer. Et cette personne-là a eu tout le temps d'y penser, croyez-moi. Il faudra la neutraliser.

_ Pourquoi Larchos est-il aux arrêts ?

_ Nous avons trouvé des hommes non marqués dans l'andréion. Pouvait-il l'ignorer ?

Inutile de répondre. Bien sûr qu'il pouvait l'ignorer : les amants n'exposent pas leur marque sans arrêt.

_ Quand partez-vous ?

_ Un chargement d'armes quitte Ignis aujourd'hui. Nous partons dans deux jours. Choisissez bien vos hommes, Iolass, six, pas un de plus.

_ Les trois frères, désignè-je sans attendre.

_ Fenril, Tor et Cassius ? Ils ne sont pas frères mais c'est un bon choix. Baal reste ici, ordonne-t-elle.

_ Puis-je en connaître la raison ?

_ Qui va diriger l'andréion en mon absence ?

_ Majesté, hésitè-je conscient de devoir y aller doucement.

_ Que de précaution ! Prince Iolass, nous n'en sommes plus à nos petits jeux de rivalité.

_ Alia lui a rendu son fils. Grâce à lui, nous avons su ce qui se tramait dans le fort.

_ Alia l'a marqué de sa maison. Cet enfant lui appartient. Elle l'a confié à Baal, je ne peux m'y opposer.

Je me retire après avoir nommé mes derniers compagnons. Deux jours ! Le temps manque. Mais en guerre, il manque toujours. 

DélugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant