Alia

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Mon bras retrouve de sa mobilité. Les soins d'Eliâtre sont efficaces. La vie à bord est en revanche d'une grande monotonie. Les Atlantes se sont habitués à me voir déambuler dans les couloirs du bateau, à m'émerveiller des paysages sur le pont. Bien sûr il faut nous apprivoiser. Mes tenues surtout les ont beaucoup choqués.

Je suis heureuse de retrouver Cilia, la fille du chirurgien, la sœur d'Eliâtre. Seule autre femme à bord, l'amiral Oloros lui a demandé de me tenir compagnie et de me servir de guide. Le premier jour, elle est arrivée les bras chargés de tenues somptueuses, de longues tuniques aux couleurs pâles et nacrées. De simples tuniques d'officiers, leurs tenues de repos, a-t-elle signifié. J'ai découvert cela avec le plus grand étonnement. Mais je suis gênée par tout ce tissu qui enserre mes jambes dans des fourreaux étroits. Mes pas malhabiles me ballottent au gré du tangage. Armée d'une dague, j'échancre largement les tuniques pour libérer mes pieds. Le tissu résiste un moment mais je parviens à le déchirer à ma convenance. Cilia trouve mes méthodes particulièrement barbares.

_ Doucement, s'écrie-t-elle alors que ses doigts parcourent la déchirure pour transformer les amas de fils coupés en bordure nette et fine. Voilà, j'ai modifié la structure. N'est-ce pas mieux ? Plus propre !

Je passe le résultat. Le long col en v descend vertigineusement au sein de ma poitrine : des tuniques d'hommes, pensè-je amusée. Resserrée par ma ceinture, la tunique tombe sur mes hanches de part et d'autre des échancrures, laissant libre court à mes mouvements. La chaleur dégagée par les tissus atlantes me stupéfait, ils sont si fins. Mes bottes lassées de cuir donnent un effet étrange à l'ensemble.

_ Vous êtes véritablement scandaleuse, s'amuse Mentis la première fois qu'il me vit. Ils vont adorer !

J'aime bien Mentis. Volontiers goguenard, parfois ironique, il semble prendre la vie comme un jeu. Nous parlons souvent de Iolass. Il s'étonne du changement de son ami et je ne peux croire ce qu'il m'en raconte. J'ai vu le prince cynique et prétentieux, non le fils impétueux et rebelle, désobéissant, brûlant la vie dans les femmes, le luxe et le jeu...

_ Et les armes !

_ Les armes ?

_ Tout n'est que façade chez Iolass ! La cour lui pèse : ses manières, ses contraintes, son hypocrisie, sa vie tracée d'avance. Il préfère passer du temps avec les hommes des premiers cercles, du peuple si vous préférez. Il partageait leurs travaux, apprenait à leur contact et maniait volontiers les armes pour s'éprouver.

_ Les Atlantes ne sont-ils pas pacifistes ?

_ Iolass a grandi avec la menace hyksos. Il a passé ses jours au maniement des armes. C'est un adversaire redoutable.

_ Quand il ne sous-estime pas son adversaire, corrigè-je en me souvenant du jour de sa capture.

Il éclate de rire. Au fond, il ne cherche qu'à me rassurer. Il veut simplement briser cette inquiétude tenace à la veille de la bataille. L'armée d'Hippolyte doit déjà être en route et Iolass avec elle.

L'amiral Oloros passe également du temps avec moi. Il se fait une mission de parfaire mon éducation politique qui, il faut bien l'avouer, manque en tout point. Il m'explique longuement l'histoire des relations entre les Atlantes, les Amazones et le royaume de Pharaon. Elles remontent à l'époque où les Hyksos avaient envahi tout le territoire du monde connu. Leur domination a duré trop de temps pour que les peuples ne conservent pas une haine amère. Il a fallu tant d'efforts, de batailles et de morts pour se libérer de leur joug que les alliances les plus contraires ont pu naître contre eux. Pharaon compte sur les Amazones pour contenir cette menace si chèrement libérée. L'Atlantide n'est entrée que tardivement dans ce jeu-là, seulement depuis qu'elle installe des comptoirs sur les terres du nord.

Le roi que je vais rencontrer au-delà du Nil est le fils d'un grand monarque et il lui tient à cœur de poursuivre l'œuvre de ses ancêtres. Il connaît mieux que quiconque le fléau hyksos et tiendra à maintenir le barrage que constitue le royaume amazone. Toutefois les Pharaons doivent être considérés avec le plus grand respect. Ils estiment recevoir leur pouvoir de leurs dieux. On ne plaisante pas avec ces gens-là. Cela m'amuse d'entendre de telles réflexions dans la bouche d'un Atlante, vu le peu de considération que son peuple porte à ces balivernes. Mais l'amiral m'enseigne leur croyance et me donne plusieurs rouleaux atlantes à déchiffrer sur le sujet. Il en profite pour parfaire ma lecture et tenter de m'apprendre à mieux utiliser les voix d'Hadès, à les tenir à distance afin de les entendre, de les voir sans rien perdre de ma volonté.

Je tâche d'être une élève appliquée. Le reste du temps je me plie aux règles de vie à bord, m'évertuant à me faire oublier. Comme promis mon bras est guéri en trois jours. Je vis de plus en plus mal mon inactivité et les derniers événements m'ont amenée à réfléchir. Malgré ma formation d'éclaireuse, j'ai été une proie facile pour les soldats hyksos. Certes ma blessure m'a handicapée mais le maniement du glaive m'est trop peu connu. J'ai bien tué un homme, le souvenir m'est particulièrement déplaisant, mais seulement par instinct. Je suis une chasseresse, pas une guerrière. Si on veut attenter à ma vie, mieux vaut que je sache me défendre. Alors devant la table des officiers, au repas du soir, je formule ma demande à l'amiral. Je souhaite qu'un de ses hommes m'apprennent l'art du glaive. J'ai vu Iolass se battre, je sais qu'en la matière les Atlantes n'ont pas d'équivalent. Un brouhaha de désapprobation s'empare de la tablée.

_ Messieurs, messieurs, calme le vieil homme, c'est une amazone. Sa demande n'a pas de quoi nous surprendre. Un volontaire.

Même Mentis baisse les yeux. Je suis allée trop loin. Je déteste être traitée de la sorte. Pourquoi une femme ne pourrait-elle pas se battre ?

_ Père, si vous le permettez, je m'en chargerai.

Kalian, le général ? Soudain ma demande me paraît moins fondée. Qu'il accepte ne me dit rien qui vaille.

DélugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant