Alia

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La remontée du delta est magnifique. Tout m'émerveille. Bien sûr la facilité et la rapidité des navires atlantes mais aussi les forêts de papyrus, la lumière de ce pays, les bras sinueux du fleuve, les monuments de briques crues sur le rivage. Ce pays appartient tout entier au soleil. Nous avons laissé deux navires et la trirème de Méphistès qui est monté sur la nef amirale. Nous nous dirigeons à présent vers Memphis, lieu où nous espérons trouver Pharaon.

Je suis nerveuse et je ne suis pas la seule. Il règne une fébrilité nouvelle parmi les hommes d'équipage et les officiers. Je m'en inquiète auprès de Mentis qui me répond froidement:

_ Les Atlantes ne sont jamais quémandeurs.

Je m'en suis offusquée. Après tout, ils ne viennent rien demander. Ils m'escortent, rien de plus.

_ Un peu comme vos amants de l'andréion, réagit le général Oloros amer.

Lui, il commence vraiment à m'agacer. Certes il ne m'apprécie guère mais est-il obligé de faire fausse-route sans cesse. Aucune amazone ne souhaiterait la protection d'un amant. Jamais elle ne s'y abaisserait. Si je suis sous leur protection, ce n'est que par faiblesse, parce je suis encore incapable de comprendre les enjeux qui me dépassent, plus incapable encore de mesurer le danger que je peux moi-même représenter. Pourquoi m'a-t-on choisie ? Pourquoi ne m'a-t-on jamais laissé la possibilité d'une autre vie ? Amazone, atlante, à quel peuple appartiens-je désormais ? Et le déluge ? Quel rapport avec moi ? J'évite de trop y penser car l'Amiral n'a de cesse d'éviter soigneusement toutes mes questions sur le sujet. Aussi gardè-je pour moi mes doutes et mes états d'âme et me contente d'une moue boudeuse. Décidément nos mondes ne se comprendront jamais.

Rapidement deux points se dessinent sur l'horizon, des navires égyptiens en approche. La fébrilité se mue en méfiance et l'Amiral exige que je demeure dans la cabine de commandement pendant qu'il négociera avec les émissaires de Pharaon. Mentis et Kalian se tiennent près de moi, félins prés à bondir sur n'importe quelle proie assez folle pour oser m'approcher. Ils sont trop nerveux. L'Amiral revient contrarié.

_ Pharaon ne nous recevra pas ?

_ Non, grommèle le vieil amiral songeur, c'est pire. Il nous attend.

_ Il nous attend ? Comment est-ce possible ?

_ C'est un piège, martèle le général Oloros.

_ Je ne crois pas, mais préviens les hommes. Que chacun soit sur ses gardes ! Mentis, vous ne lâchez pas Alia d'une semelle.

Le jeune homme apprécie. La descente du Nil jusqu'à la capitale se fait dans une toute autre ambiance. Les Atlantes scrutent l'horizon, vont et viennent, utilisant les eaux du fleuve pour voyager invisibles comme bon leur semble. Certains disparaissaient et réapparaissaient, plus fantômes qu'êtres humains, prés du général et de son père pour faire leur rapport. Leurs voix filent en un chuintement silencieux, parfois dans un simple regard. Bien des choses m'échappent. Je n'en suis pas certaine mais les Atlantes observent notre escorte égyptienne de très, très prés. Mentis et Méphistès ne me quittent plus. Kalian exige également que je ceigne à ma ceinture le glaive de Timos. Il espère que les voix d'Hadès m'aideront à me défendre en cas de besoin. Personnellement, je n'ai pas autant d'assurance que lui et je me demande si, dans la précipitation d'une bataille, je serai capable de renouveler mes exploits guerriers. Quoi qu'il en soit, de la diplomatie, l'entrevue peut rapidement tourner à l'affrontement.

_ Ne vous inquiétez pas, essaie Mentis, même Pharaon sait que nous ne quittons jamais nos navires. L'entrevue se fera ici. Ils seraient bien fous d'oser s'en prendre à vous dans ces conditions.

_ Mais vous étiez descendus à Thermiscyre.

_ Nous étions chez des amies.

Les premières maisons aux toits de papyrus apparaissent dans les faubourgs de la cité. Je n'en ai jamais vues de semblables. Petites, cubiques, elles s'agglutinent aux pieds des remparts immenses de la cité de Pharaon. Un embarcadère se détache au loin. Il me semble apercevoir une tente de lin fin installée sur le quai. Nous nous y amarrons. En grande pompe, une délégation franchit le pont du navire. Je me tiens droite et nerveuse entre le général et l'Amiral. Les soldats se postent de part et d'autre pour former une allée. Ils arrivent : un homme et une femme magnifiques. Leur couple dégage une impression de force et de douceur, une grande sérénité. La femme se penche imperceptiblement vers son époux qui esquisse un sourire. Immense, la peau mâte, le corps athlétique, il domine la situation. Bel homme, son nez aquilin renforce l'autorité naturelle de son visage mais c'est la reine qui me fascine, tant de beauté, de grâce. Son corps élancé et mince est enfermé dans une longue robe blanche qui dévoile ses formes divines sous les rayons du soleil. La finesse de ses traits est rehaussée d'un maquillage habile. Je me fais l'effet d'une matière brute à côté. Ma beauté, si j'ai pu y croire, s'efface barbare, primaire. La reine se meut avec une élégance facile, semblant à peine effleurer le sol du navire, dansant dans chacun de ses gestes.

DélugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant