Alia

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_ Cilia, sortez !

Sans m'attarder sur la façon dont la porte s'est ouverte seule ou dont ce maudit masque a volé jusqu'à ce traitre, j'exige qu'il s'identifie. Il a l'audace de vouloir que je me calme. Nulle amazone en ce lieu pour me faire de reproche, d'après lui.

_ De reproche ? Je peux être enterrée vivante pour un tel crime ! Des vœux sacrés ne signifient rien pour un homme. Qui êtes-vous ?

_ Le Prince Iolass, fils aîné du roi.

_ C'était vous tout à l'heure ?

_ Également. Vous deviez vous reposer. Ces hommes ont besoin de vous.

_ Évidemment. Vous êtes si prétentieux ! Vous pensez que même une amazone a besoin de vos bras secourables.

_ Il ne s'agit pas de cela, s'énerve-t-il.

_ D'après nos lois, ou je meurs ou je vous tue.

Mais cela le divertit. Je suis prête à bondir, à me battre s'il le faut mais il arbore un sourire railleur que je souhaiterais lui faire ravaler :

_ Mais allez-y, ne vous gênez surtout pas. Avec quoi croyez-vous exécuter votre menace ? Votre dague ? Vous ne feriez pas un pas dehors.

Il s'avance vers moi imperceptiblement, s'amuse même à retirer son masque pour m'infliger la vue de son visage. Je grimace. Il me fait obstacle pour rejoindre ma table, ma ceinture, une arme et lui faire regretter sa suffisance. J'ai été impulsive. Dépitée, je m'en veux déjà :

_ Cela vous plaît...

_ C'est vous qui avez joué. En êtes-vous morte ? La vue d'un homme est-elle si insoutenable ? lance-t-il en me serrant contre lui par la taille alors que je supporte son impudence, droit dans les yeux.

_ Lâchez-moi !

J'ai haché chaque mot pour qu'il comprenne mais il s'en moque et exige que je me justifie.

_ Pourquoi ?

_ Vos hommes sont saufs. Demain beaucoup n'auront plus de fièvre. Je retourne dans mon temple.

_ Votre prison, contredit-il en mimant un baiser.

Je devrais le frapper. Je devrais lui arracher les yeux mais il s'arrête à temps et me lâche hilare. Plus ma colère devient visible, plus son amusement grandit. Je reprends mes affaires et remets ma ceinture. Une pointe de flèche, là, sur la table. Une pointe du poison du roi et il sera condamné. Rien de plus facile. Je jette un dernier regard sur ces hommes qui reposent dans le royaume d'Hadès. Leurs visages sont lisses, enfin. Je pourrais croire qu'ils sourient. Je m'en approche. Leur prince me laisse faire. Je prends dans une petite bourse quatre pièces d'argent et leur dépose dans la bouche. Ils ne seront pas démunis devant le passeur du Styx. Aussi d'une voix blanche, je l'interroge:

_ Étaient-ils bons soldats ?

Il reste un moment interdit, interloqué par la soudaineté de ma question. Son regard si pâle, si profond dans son gris éclatant, devient presque doux. Il cesse de me provoquer et s'agenouille de l'autre côté du lit.

_ Lui, c'est Nautlès. Il a sauvé le roi à plusieurs reprises. Un ami d'enfance, je crois. Derrière vous, c'est Chrysès et là Timos, deux frères, les colosses de l'Atlantide. Forts et rapides, des combattants exemplaires, téméraires aussi, quant au dernier, il se nomme Actès. Tous les quatre combattaient sous mes ordres.

_ Ils iront aux champs Élysées.

_ Qui sait ? Les Atlantes ne croient pas à ces choses-là.

_ Vous avez raison : je ne vous tuerai pas aujourd'hui mais ne recroisez plus jamais mon chemin. La haine des Amazones est tenace.

_ Qui sait ? finit-il le regard toujours plongé sur ses anciens compagnons d'armes.

Je ne crois pas qu'il me défie, juste qu'il considère sa vie comme trop longue pour préjuger de son avenir. Ce n'est pas mon cas. Il quitte le casque de son roi et le pose sur le corps de Nautlès, en marque de respect, semble-t-il. Il se lève, pianote sur le mur et ouvre la porte du pont.

_ Vous avez raison, votre place n'est plus ici.

Je ne me fais pas prier mais il m'arrête.

_ J'ai été stupide. Pardonnez-moi. L'arrogance atlante, je suppose.

La porte se referme sur lui. Que pourrais-je lui répondre de toute façon ? Pour une amazone le pardon existe-t-il ? Son dernier regard me brûle d'un feu que je ne connais pas. Pourquoi ? Parce qu'il a, lui, le droit et le pouvoir de vivre ? C'est absurde. Je domine rapidement cet émoi et regagne les murs de la cité. Jamais je n'ai été si heureuse d'entendre derrière moi se fermer la lourde porte de bronze.

_ Princesse, notre reine vous attend, m'annonce une gardienne.

Je la suis sans attendre.

DélugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant