Iolass

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Je cours vers elle, allongée sur le côté, à même le sol, le visage blême, couvert de ses longs cheveux épars. Près d'elle, la fiole de poison que d'un geste stupide je rejette le plus loin possible.

La vie file dans ses veines, son cœur est trop lent. Sa musique s'éteint doucement, choc après choc, dans une interminable agonie. Elle ne reviendra pas. Le froid l'a déjà prise. Trop tard. D'instinct je fais la seule chose possible. Passer en elle, prendre son sang, lui donner le mien, fondre nos deux corps en un seul. L'eau ! Les hommes sont de terre et d'eau ! C'est risqué ; le poison se diluera, elle pourra le combattre. Encore faut-il que son esprit ne résiste pas ? Elle n'est pas là. Ce corps est une enveloppe vide. Bon sang, mais où est-elle ? Je ne la perdrai pas ! Non, impossible ! Elle doit revenir. Un esprit ne se disloque pas. Une âme ne s'évapore pas. Enfin, un souffle, lointain, une étincelle, fugace ; l'accrocher là, la cheviller à ce corps malade. Non ! Elle m'échappe. Pourquoi ?

J'ouvre les yeux. Hippolyte me dévisage. Que dire ? Ma tentative a été vaine. Inutile de m'expliquer. Je fais non de la tête. La guerrière m'ordonne de ne pas bouger. Des bruits de chevaux parviennent à nos oreilles. Isoha ? Que vient-elle faire ici ? J'enrage. Après tout c'est sa faute ! La prêtresse me fait face et examine sa nièce inanimée. Une fiole verte à la main, elle va en déverser le contenu sur ses lèvres bleuies. Je l'arrête tenant sa main avec une violence dont je ne me savais pas capable. Elle me toise :

_ Nous n'avons pas le choix, me repousse-t-elle avec bienveillance. Je ne sais même pas si cela la sauvera. Son cœur s'arrêtera bientôt. C'est pour le réveiller, si cela passe dans le sang à temps.

Mon esprit fonctionne à plein régime. Je prends la fiole de la main d'Isoha, verse le liquide dans la mienne. Au contact de ma peau d'Atlante, l'eau se transforme en une bulle claire et docile, flottant au gré de ma volonté. J'arrache la robe fine d'Alia pour poser notre toute petite chance au creux de sa poitrine glacée. Si cela la tue, je me jure de ne pas laisser vivre sa traitresse de tante. Elle me le paiera à coup sûr. Je me concentre. Pas le droit à l'erreur. Effleurant sa peau marbrée, Je guide le liquide ambré entre ses seins, l'orientant vers chaque battement, jusqu'aux artères, jusqu'au muscle cardiaque.

Un cri, comme un coup de tonnerre, déchire le silence funèbre. Son corps se cabre avant de retomber inerte sur le sol. Puis rien... Les battements ténus se perdent dans le mutisme de son souffle. Alia ne revient pas. 

DélugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant