Les navires retentissent de l'effervescence triste des festins funèbres. Les aèdes reprennent les hauts faits de gloire des héros. La vie est sacrée sur l'Atlantide. La mort aussi. On célèbre le dernier souffle, le passage, sa fragilité et sa force. Les hommes reprennent les récits d'antiques batailles, de combats titanesques, du déluge, de la naissance de notre île, dans une euphorie exutoire. Il ne m'est pas difficile de m'éclipser d'autant que la complicité de Mentis, à peine remis de son empoisonnement, me facilite la tâche. J'ai, dans la journée, déambulé tristement sur les quais en quête de repérage. J'ai choisi une falaise un peu au nord, au-delà des remparts de la cité. Cet obstacle naturel a paru suffire et il ne semble disposer d'aucune autre défense.
Il est l'heure. Je me glisse le long de la coque de la nef royale, torse nu, dague à la ceinture, une corde armée d'un crochet en bandoulière. Mes qualités de nageur m'amènent rapidement à l'endroit souhaité. La mer est calme, la nuit fraîche et claire, ce qui n'est pas un avantage. Si ce ciel étoilé peut m'aider à guider ma progression, j'espère que la lune ne me trahira pas.
Arrivé sur la grève, j'enduis ma peau laiteuse de sable poussiéreux pour couper un peu la blancheur félonne. Aucune garde ne surveille l'endroit. J'arme mon filin et commence mon ascension. Ce n'est pas aisé. Le vent souffle par rafale. Souvent plaqué contre la paroi, j'avance avec la plus grande prudence. Enfin en haut de la falaise, je vois surgir devant moi un bois épais. Je dois le traverser pour rejoindre l'enceinte du temple d'Artémis puis le palais des novices. J'ignore tout du culte de la déesse chasseresse chez les Amazones mais, très vite, je sens comme une présence. Je scrute les arbres me rappelant avoir déjà senti cette impression à notre arrivée. Rien. Je divague. Grâce aux étoiles et aux rares lumières présentes dans le bâtiment, je parviens à m'orienter. Elles appellent cela un palais !
C'est une simple bâtisse en bois, extrêmement sobre, composée d'un bâtiment principal et de deux ailes symétriques, formant une cours rectangulaire sur l'arrière. Le rez-de-chaussée est bordé d'un péristyle aux colonnes claires et sculptées. Suivant les indications de Méphistès, à l'étage, je compte les travées pour repérer le dortoir que je cible. Profitant des sons de la forêt, soulevée par une rafale de vent, je lance mon crochet et escalade le long des colonnes peintes. Comme je l'avais supposé, les Amazones n'ont pas de vitrages. Elles se contentent d'obscurcir leurs ouvertures en croisées de bois par des tentures de laine. Je me glisse à l'intérieur. Quelques lampes à huile tamisent l'atmosphère me laissant deviner une grande chambre, cinq lits disposés éloignés les uns des autres contre les murs, quelques coffres de rangement. Un, plus riche, orné de marqueterie d'ivoire a été abandonné ouvert, laissant deviner le désordre de son contenu. Je l'aurais cru plus soigneuse. Tiens, je remarque que seuls trois lits sont occupés, sûrement pas très confortables leurs lits, juste des cadres de bois, des bandes rugueuses croisées pour faire office de sommier et des peaux de bêtes comme matelas.
Alia est là, endormie dans un coin isolé de la pièce, la tête enfouie dans la fourrure d'un animal. Je ne m'en approche pas. Très vite, je vois ce qui m'intéresse, pendue près du lit sur le mur, par un crochet. J'approche. La boîte aux marques d'Hadès ? Je lève sans bruit les bourses et les sachets. L'une fait un petit son métallique. Je m'arrête. Alia respire tranquille. Ouf, je n'ai pas pensé à ses instruments médicaux. Une petite boîte ronde m'offre ce que je cherche : les marques d'Hadès, un crâne suspendu au centre d'une balance équilibrée par deux sacs en tissu, servant de poids et surmontant la roue de la vie. C'est assez explicite. Je m'en empare et laisse ce que j'ai prévu, des larmes d'Amphitrite. Je ne doute pas qu'elle en découvrira seule les effets. Don contre don. Le vol me répugne. Certes le don d'Alia n'est pas volontaire et ma conscience n'est pas dupe mais le moment est mal choisi pour les scrupules.
Je ne m'éternise pas. C'est presque trop facile. Un dernier coup d'œil. Un loup ? Drôle d'animal de compagnie, surtout dans la région. Elles doivent les faire venir du nord. Mais elle a posé sa tête sereine contre le ventre de l'animal qui balaie parfois son visage d'un balancement de queue presque tendre. Spectacle insolite. Je pars par le même chemin.
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Déluge
FantasyAlia sait qu'elle va mourir. Sa sœur la tuera lors du combat de succession au trône des amazones. Elle n'a pas peur, la mort est une vieille compagne qu'elle attend en profitant de sa liberté. Mais un navire étranger bouscule son destin. Elle va dev...