Iolass

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Comme on s'accroche à un dernier espoir, elle serre ma main. Son corps s'ébranle dans une toux persistante. Du sang noir file de ses lèvres. Puis plus rien !

J'ouvre les yeux. Du regard, sa mère m'interroge. Je suis perdu. Je suis certain de l'avoir trouvée, de l'avoir ramenée. Elle est venue à moi, j'en suis sûr. Pourquoi ne bouge-t-elle pas ?

Ses paupières vacillent. Imperceptibles d'abord puis plus assurées, elles s'ouvrent. La toux reprend, torture tout son être. Le sang coule à nouveau à travers sa main portée à sa bouche, un sang sombre, encre... Cela m'inquiète. Elle esquisse un faible sourire et murmure. Mais je suis trop pétrifié par ce poison qui sort enfin d'elle pour l'entendre.

_ C'est fini, souffle-t-elle. C'est fini.

_ Tu nous as fait une sacrée frayeur.

_ Je suis désolée.

_ Chut, plaçant mon doigt sur ses lèvres, tu dois te reposer.

Je cède la place pour permettre à la reine d'approcher. D'un geste lent et maternel, elle lui lave le visage. Elle a raison, c'est fini. Elle est là, enfin. Je ne me résigne pas à quitter la pièce. Je devrais partir, rejoindre l'andréion. C'est ma place. Je ne peux pas, non, pas encore. Elle s'abandonne toute entière à sa mère, sans doute enfant pour la toute première fois. Sa mère lui parle à l'oreille. Alia tourne ses yeux las vers moi et susurre : « je sais ».

La reine quitte la chambre. Elle veut qu'Isoha voie notre malade. Je ne suis pas d'accord mais l'exprimer en ce temps, en ce lieu, serait déplacé. Il faut attendre. Alia se fait interrogatrice. Elle décèle en moi ce doute qui ne me quitte pas. Je veux la rassurer :

_ Ne t'inquiète pas. Dors, tu dois te reposer.

_ Ne pars pas.

_ Aucun risque.

Elle a prononcé ces trois mots avec une urgence qui fêle sa voix. Je me sens désarmé. J'ai cru la perdre, elle, Alia, princesse amazone, clef de l'Atlantide. Mais tous ces titres ne sont plus que poussière. J'ai failli la perdre elle, et elle seule, son rire, son regard, sa voix, toute entière... Cela n'augure rien de bon. Je me souviens alors de la promesse faite à Larchos. Le désir ? Je n'en suis plus là. Même dans la mort, elle a conservé sa beauté effrontée mais je n'en suis plus là. Je mesure à présent davantage ce que le vieil homme m'a demandé. Oh oui, elle vivra, même si je dois lui apprendre à vivre.

La prêtresse d'Artémis entre sans bruit, une coupe à la main. Cette sorcière vient comme un fantôme. Je ne peux m'empêcher de frémir. Je me dresse sur mes pieds pour me proposer mais la reine est à sa suite. Il me faut m'effacer. Isoha me défie sans un mot et approche le calice des lèvres de sa nièce. Je bous de rage. La haine se dissimule mal sous mon masque d'impatience.

_ Du lait, du miel et des herbes pour te fortifier, précise Isoha. Tu dois reprendre des forces.

Sa nièce docile laisse le liquide descendre dans son estomac. Je n'en perds pas une goutte. Si je sens un doute, une douleur, un mal, je l'arracherai sans attendre pour l'enfoncer moi-même dans la gorge de cette misérable. Rien ! Je me détends un peu. La prêtresse n'est pas si stupide. Elle se retire. La reine patiente jusqu'à ce que sa fille s'endorme, les yeux braqués sur moi, perspicaces :

_ Votre colère contre Isoha est sans fondement.

_ Majesté, ne le croyez pas. J'ai des doutes et...

_ Des doutes ? s'impatiente-t-elle. Alia a fait son choix. La prêtresse d'Artémis ne peut être accusée de cela. Si quelqu'un a poussé Alia dans les bras d'Hadès, c'est moi.

_ Il ne s'agit pas de cela, affirmè-je prêt à l'affronter.

_ De quoi s'agit-il dans ce cas ?

_ De votre mort !

_ De ma mort ? rit-elle. Isoha n'a pas besoin de la vouloir pour savoir qu'elle va venir.

Quoi ? Je ne comprends pas. Peu importe en vérité ! Je n'en démordrai pas. Mes assaillants ont mentionné son titre. Ce ne peut être Alia. La reine s'approche de moi, pose sa main sur mon épaule et insiste : que j'aille dormir.

_ Je ne pars pas !

_ Qui vous parle de partir ? Cyrène et Psyché veilleront sur elle. Passez à côté et dormez... Elles vous réveilleront dès qu'il le faudra. Vous l'avez mérité.

La reine se retire. Seul enfin. Alia est si paisible à présent, encore un peu pâle peut-être. Je passe irrésistiblement ma main sur son visage. Elle s'éveille un peu. Sa peau retrouve la douce chaleur qui est la sienne. Je dépose un baiser sur le front et m'éclipse. Un moment d'hésitation... Non...

Dans l'autre pièce, Psyché et Cyrène ont retiré leurs habits de deuil. Une vasque à la main, la suivante déclare :

_ À vous, maintenant !

_ Pardon ?

_ Les ordres sont clairs : je dois soigner votre bras. Alors soyez sage, Alia ne nous le pardonnerait pas.

Elle m'indique une banquette. Je retire ma chemise. Mon bras ! Ma plaie mal pansée s'est rouverte mais je l'avais oubliée, comme j'oubliais la douleur. En fait je peux résoudre ce problème en moins de temps pour le dire mais je ne suis pas sûr que les Amazones apprécient ma médecine. Psyché veille la princesse à présent. Je n'ai plus rien à craindre. Un manque s'insinue. Je ne peux pas...

_ Restez tranquille, m'ordonne mon infirmière.

_ Désolé, bougonnè-je impatient.

_ Nous ne pouvions rien dire, vous savez.

_ Je sais.

_ Merci.

_ De quoi ? (Cyrène qui ose me remercier, voilà qui est à marquer d'une pierre blanche. J'ai toujours perçu le lien entre Alia et ses suivantes, une sorte d'entité à trois. Leur fidélité ne m'a pas étonné.)

_ Pour Psyché. Hippolyte l'aurait tuée.

_ Je ne crois pas.

_ Vous la connaissez mal.

Cyrène achève ses soins sans un mot. Je crois que pour elle c'est déjà trop : remercier un homme. Mon esprit chancèle, le sommeil m'emporte. Il n'est guère serein. Des ombres monstrueuses dévorent des corps inertes. Alia ! Je me réveille en sursaut. La voir ! Elle dort. Je retourne à ma place, près d'elle, besoin impérieux de la sentir ne serait-ce que respirer, si près, trop près sans doute. Ses yeux apparaissent dans la pénombre.

DélugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant